Sasebo (Nagasaki), navire des Forces navales d'Auto-Défense japonaises amarré au port

Le Japon de l'ère Meiji à 1945

Modernisation et ultra-nationalisme

⏱ 9 minutes

L'Empire du Japon est la période s’étendant de 1868 jusqu’à la fin de la 2nde Guerre mondiale et couvre les règnes de 3 empereurs (Meiji, Taisho et Showa). Elle est marquée par une modernisation très rapide et l’entrée du Japon sur la scène internationale, ce qui cause des bouleversements majeurs dans le pays et dans ses relations avec ses voisins.

La sortie du Japon de son isolationnisme est marquée par d’importants troubles publics et politiques. L’ère Meiji (1868 – 1912), qui succède à l’époque d’Edo, débute par la guerre de Boshin (1868 – 1869) opposant les partisans du shogunat à ceux de l’empereur lors de plusieurs batailles : Toba-Fushimi, Ueno et jusqu’à Hakodate où fut créée une éphémère république indépendante d’Ezo. Au terme de ces affrontements, le pouvoir impérial restauré s’installe à Edo, renommée Tokyo (東京, "capitale de l’est") où le souverain s’établit officiellement en 1889. À partir du règne de Mutsuhito (Meiji), durant l’ère Taisho (1912 – 1926) et jusqu’au début de l’ère Showa (1926 – 1989), le Japon s’efforce de combler l’écart avec les puissances occidentales, de se moderniser et de se faire une place dans les relations internationales.

Jidai Matsuri (Kyoto), musiciens des troupes impériales Meiji

Modernisation du pays

L’ouverture du Japon est réglementée par plusieurs traités conclus avec les grandes puissances de l’époque (États-Unis, Grande-Bretagne, France, Allemagne, Russie) dits "traités inégaux", que le Japon n’aura de cesse de renégocier. Leur révision est notamment soumise à la condition que le pays corresponde aux standards sociaux, politiques et économiques des pays occidentaux. Pour cela, les élites du pays lancent une modernisation profonde, basée sur l’étude des sciences occidentales (sur place et avec des spécialistes invités) pour les adapter aux conditions locales et construire un "pays riche et une armée forte" (Fukoku kyôhei 富国強兵).

Socialement, cela se traduit par plusieurs réformes radicales dont un profond remaniement de l’ordre social :

  • la fin du système de classes sociales mibunsei, et par conséquent de la classe des samouraï. Le port d’armes est réservé uniquement à la police ou aux militaires (1876) ;
  • une armée impériale de conscription est créée en 1871 ;
  • l’éducation est rendue obligatoire pour tous, garçons et filles, à partir de 1872.

Les institutions politiques sont aussi réformées, pour s’approcher d’un régime monarchique constitutionnel :

  • la première Constitution du Japon est promulguée en 1889 ;
  • la première session de la Diète, le Parlement japonais, a lieu l’année suivante ;
  • et son élection a lieu au suffrage censitaire masculin.

Meiji Jingu Museum (Tokyo) calèche de l'empereur Meiji pour le défilé de la 1ère Constitution du Japon en 1889

C’est aussi au début de l’ère Meiji que les cultes sont officiellement séparés par la loi de Séparation du bouddhisme et du Shinto (Shinbutsu bunri 神仏分離), faisant des sanctuaires Shinto des institutions gouvernementales chargées des rites nationaux et du recensement de la population.

Après avoir tiré les leçons de la fragmentation de la Chine par les puissances occidentales au milieu du XIXe siècle, le gouvernement japonais s’efforce de financer son développement économique grâce à des fonds locaux avec :

  • la mise en place d’un nouveau système d’impôts basé sur une taxe foncière afin de générer des revenus annuels stables. Pour cela, les anciens domaines sont abolis et les préfectures créées en 1871 ;
  • l’investissement dans les industries (textiles, chantiers navals, mines et raffineries de métal) et les infrastructures (chemin de fer entre Tokyo et Yokohama en 1872) ;
  • établissement du Yen 💴 dans les années 1880, une monnaie stable soutenue par une banque centrale.

Le développement économique est soutenu par les conglomérats industriels zaibatsu qui s’étendent sur plusieurs secteurs, y compris la banque. Pendant l’ère Taisho (1912-1926), ils possèdent environ 20% du capital privé et ont tissé des liens très étroits avec la classe politique.

Grâce à sa révolution industrielle, l’Empire du Japon devient l’usine de l’Asie avant la fin du XIXe siècle, notamment pour le textile (soie, coton) et l’extraction minière (charbon). Ce mouvement s’accompagne, comme dans les autres pays développés, d’un fort exode rural en direction des villes et des usines, d’autant que la population est passée à 45 millions d’habitants en 1900, soit 10 millions de plus qu’en 1880.

Musée ferroviaire de Kyoto, dépôt de trains à charbon et plaque d'aiguillage tournante

Expansionnisme et relations internationales

Les révolutionnaires de Meiji renouent avec l’expansionnisme en Asie, autrefois abandonné par les Tokugawa. Il s’agit à la fois de s’affirmer régionalement et de s’assurer ressources et marchés pour soutenir la croissance économique du pays.

Tout d’abord, les territoires avec lesquels le Japon d’Edo entretenait d’étroites relations son annexés : Hokkaido devient une préfecture en 1869, tandis que les îles Ryu-Kyu deviennent la préfecture d’Okinawa en 1879.

L’Empire du Japon force l’ouverture du royaume coréen au commerce par le Traité de Ganghwa en 1876, sur le modèle de celui de Kanagawa et poursuit sa politique d’influence au sein de la péninsule. Il saisit toutes les opportunités d’extension de son pouvoir militaire sur le continent :

  • la guerre Sino-japonaise en 1894-1895, déclenchée au prétexte de défendre la Corée contre une incursion chinoise. Le traité de Shimonoseki reconnaît la victoire du Japon et lui assure le contrôle de Taïwan, de la péninsule de Liaodong située en territoire chinois et les droits de construction du chemin de fer en Mandchourie du sud.
  • la guerre Russo-japonaise en 1904-1905, directe conséquence de la précédente, qui permet au Japon d’établir à long terme ses intérêts en Mandchourie et en Corée, où est instauré un protectorat.

Cette dernière victoire japonaise est un choc retentissant pour les puissances occidentales, persuadées jusque là qu’une nation non-blanche ne pouvait leur infliger de défaite. Cette opposition du Japon lui permet de se poser en "grand frère" de l’Asie face au colonialisme occidental, bien que ses actions relèvent du même impérialisme.

L’Empire du Japon annexe d’ailleurs la péninsule coréenne en 1910 et l’occupe jusqu’à la fin de la 2nde Guerre mondiale. De même, il profite du retrait des Européens et des Russes d’Asie en raison de la 1ère Guerre mondiale (1914 - 1918) et de la révolution bolchevique (1917 - 1922) pour renforcer ses intérêts en Mandchourie et son influence dans la région.

Répression politique et montée du militarisme

Dans les années 1920, le contexte international (émergence du nationalisme chinois, montée du communisme et influence grandissante des États-Unis en Asie) a des répercussions sur la vie politique japonaise : émeutes et mouvements de contestations politiques éclatent, jusqu’à une tentative d’assassinat du futur empereur Hirohito. Les tensions sont renforcées après le Grand Tremblement de terre du Kanto (1923) qui, en plus des dégâts infligés à Tokyo, a aussi vu de nombreux massacres d’immigrés coréens. La répression politique se durcit, en particulier avec la Loi de Préservation de la Paix de 1925 qui vise le communisme, le socialisme et l’anarchisme, et plusieurs autres lois similaires édictées par la suite.

Après le Krach boursier de 1929 qui fait entrer le monde entier dans la dépression, on assiste à la montée du militarisme au Japon, répondant à un sentiment de déception vis-à-vis des partis politiques en place et des élites financières accusées de ne pas servir leur pays. L’armée du Kwantung, créée en 1906 pour protéger les intérêts japonais en Asie, est souvent à l’origine d’assassinats d’hommes politiques et d’industriels japonais, ainsi que d’actions indépendantes en Asie, comme l’Incident de Mukden prélude à l’invasion de la Mandchourie en 1931.

Le 26 février 1936, une faction ultra-nationaliste de l’armée impériale met en œuvre un coup d’état particulièrement violent, assassinant plusieurs ministres en exercice. Il fallut l’intervention de l’empereur Hirohito lui-même pour y mettre fin, mais le nombre de militaires entrés au gouvernement après cet événement constitue une victoire pour eux et le Japon entre définitivement dans une économie de guerre.

L’Empire japonais continue sa politique d’expansion en Asie, déclenche la 2nde Guerre sino-japonaise (1937 – 1945) et profite du début de la 2nde Guerre mondiale pour s’étendre en Asie du Sud-Est à partir de 1940. Puis, le 7 décembre 1941 a lieu l’attaque de Pearl Harbor contre les États-Unis, entraînant leur entrée dans le conflit mondial qui dure jusqu’en 1945. Le 15 août, dans une première allocution publique à la radio, l’empereur annonce la capitulation du Japon après les 2 bombardements atomiques de Hiroshima et Nagasaki.

Dôme de Genbaku (Hiroshima), vue au pied du bâtiment soufflé par la bombe atomique

Évolutions culturelles

Le début de l’ère Meiji est caractérisé par une grande curiosité vis-à-vis des idées nouvelles, mais aussi par un retour au traditionalisme et une définition de ce qui est japonais. Après plus de 2 siècles de fermeture complète, le Japon accepte la présence d’étrangers – toujours dans un périmètre limité au début, et envoie des délégations en Europe et aux États-Unis. Leurs missions sont à la fois diplomatiques (révision des traités inégaux et représentation), et scientifiques et culturelles. Les connaissances recueillies lors de ces voyages serviront de bases aux réformes de modernisation entreprises lors du dernier quart du XIXe siècle.

Le gouvernement japonais invite aussi des spécialistes étrangers et importe machines et matériaux pour mener à bien sa modernisation dans tous les domaines : de l’industrie textile aux institutions politiques, à l’armée et aux beaux-arts.

Les experts étrangers, avec les étudiants qu’ils ont formés, contribuent également à la réévaluation positive de la culture japonaise, en particulier la culture du thé avec Ernest Fenollosa et Okakura Tenshin (Le Livre du Thé, 1906). Ce dernier joue également un grand rôle dans la préservation de la peinture traditionnelle. Dans la foulée, des musées impériaux, qui deviendront nationaux, sont fondés à Tokyo (Ueno, 1882), Nara (1894) et Kyoto (1895) pour la préservation des œuvres d’art japonaises et asiatiques.

Outre le chemin de fer, d’autres nouvelles technologies de l’époque sont très vite assimilées :

  • la photographie – les premiers studios tenus par des Japonais ouvrent à Yokohama et Nagasaki dès 1862. Le premier portrait officiel et public de l’empereur le représente vêtu à l’occidentale en 1873 ;
  • le cinéma, introduit à Kobe dès 1896 – il connaît son premier âge d’or dans les années 1920 avec les films de Yasujiro Ozu (1903 – 1963) et Kenji Mizoguchi (1898 – 1956) traitant de la vie quotidienne et de la condition des femmes.

Villa impériale Goyotei (Numazu), aménagement intérieur aux influences occidentales

Dès la fin de Meiji, le Japon présente toutes les apparences d’une nation moderne : ses habitants ont adopté les éléments de la garde-robe occidentale, les grande villes se couvrent d’immeubles de pierre ou de briques, et des moyens de transports tels que le train 🚅 ou le tramway se développent.

Les échanges culturels internationaux restent intenses malgré les tensions géopolitiques. Le Japon ne manque pas d’envoyer des représentants à chaque exposition universelle et/ou industrielle. Les sections arts traditionnels ont beaucoup de succès et influencent à leur tour les artistes occidentaux, comme l’architecte américain Frank Lloyd Wright, impressionné par le pavillon japonais à l’exposition universelle de Chicago en 1893 et qui concevra l’Hôtel 🏨 Impérial à Tokyo inauguré en 1923 (détruit en 1968).

Le Japon parvient même à se voir attribuer l’organisation des Jeux Olympiques 🏅 de 1940 (Tokyo), qui seront annulés en raison de l’entrée en guerre de l’Europe. Les grandes stars de l’époque n’hésitaient pas à s’y rendre en tournée, comme Charlie Chaplin en 1932 (où il a d’ailleurs a échappé à une tentative d’assassinat) ou en 1934 Babe Ruth, le célèbre joueur de base-ball, dont le sport n’a cessé d’être populaire dans l’archipel même pendant la guerre.

Mis à jour le 20 novembre 2023 -