Que sont devenus les exilés de Fukushima ?
10 ans après l'accident nucléaire de 2011
Le 11 mars 2011, un séisme de magnitude 9,0 frappe à 130km au large de la région du Tohoku au Japon et engendre un tsunami de grande ampleur qui s'abat sur la côte nord-est de Honshu. Installée juste au bord de l'océan Pacifique, à environ 250km au nord de Tokyo, la centrale de Fukushima Daiichi gérée par Tepco est accidentée. D'abord privée d'électricité puis inondée, elle ne peut plus assurer le refroidissement de quatre de ses réacteurs sur les six présents sur son site. Plusieurs explosions ont lieu les jours suivants et d’épaisses fumées radioactives poussées par le vent s’échappent de la centrale vers les terres de la préfecture de Fukushima. Du matériel radioactif est également relâché dans l'eau de mer.
Ces trois évènements inédits constituent ce qu'on appelle aujourd'hui "la grande catastrophe de l'est du Japon". Tandis que les victimes directes à la suite du tremblement de terre et des vagues-submersion sont à déplorer en priorité dans les préfectures de Miyagi et d'Iwate, les victimes dites indirectes proviennent en majorité de la façade maritime proche de la centrale de Fukushima contaminée par d'importantes radiations.
L'évacuation de la population à la suite du nuage radioactif
Un rayon jusqu'à 30 kilomètres autour de Fukushima Daiichi est ainsi déclaré inhabitable par le gouvernement en avril 2011 et l'ordre d'évacuer la population, en partie ou en totalité, concerne les villes de :
- Hirono (広野町) ;
- Nahara (楢葉町) ;
- Kawauchi (川内村) ;
- Tomioka (富岡町) ;
- Okuma (大熊町) ;
- Tamura (田村市) ;
- Futaba (双葉町) ;
- Namie (浪江町) ;
- Katsurao (葛尾村) ;
- Minami-soma (南相馬市) ;
- Kawamata (川俣町) ;
- et Iitate (飯舘村).
Au plus fort des évènements en 2011, c'est environ 165.000 habitants de la préfecture qui deviennent des "exilés de Fukushima". Ils se divisent en deux catégories :
- ceux qui ont été déplacés de façon obligatoire des territoires les plus sinistrés et sur ordre du gouvernement ;
- et ceux qui sont partis volontairement de la région proche de la centrale, par peur des radiations.
En 2017, Cécile Asanuma-Brice, chercheuse au CNRS au Japon, évoque les chiffres officiels d’environ 80.000 personnes encore déplacées. En novembre 2020, l'Agence de Reconstruction comptabilise toujours environ 37.000 personnes exilées issues de la préfecture de Fukushima.
Les réfugiés de la centrale occupent dans un premier temps des habitations construites à la va-vite et situées sur des terrains vagues à la périphérie des villes et villages. Peu confortables, ces logements préfabriqués baptisés kasetsu jûtaku (仮設住宅) sont fournis par l'État pour une durée au départ de 2 ans. Tepco leur verse également un revenu mensuel compensatoire de 100.000¥ (~624€) par personne. Les dépenses de la vie quotidienne restent à la charge des exilés, dont bon nombre qui étaient agriculteurs se retrouvent également sans emploi.
Une politique d'incitation au retour initiée dès 2012
La question du retour de la population sur les territoires évacués a toujours été motivée par l'État japonais. En 2013, à l'obtention des Jeux Olympiques 🏅 d'été par Tokyo pour 2020 2021, Shinzo Abe, le premier ministre japonais de l’époque, promet que d'ici là il n’y aura plus de problème. Un départ de la flamme depuis la ville de Fukushima est même décidé afin de symboliser un retour à la vie normale dans cette région. Le gouvernement nippon se donne donc un horizon d'une dizaine d'années pour surmonter le grand séisme du Tohoku et la catastrophe nucléaire de Fukushima.
Pour cela, il est notamment accompagné par les autorités internationales de gestion du nucléaire, massivement représentées et donc tès influentes au Japon, notamment :
- l’AIEA (Agence Internationale de l'Energie Atomique) ;
- l'UNSCEAR (Comité Scientifique des Nations Unies pour l'Etude des Effets des Rayonnements Ionisants) ;
- la CIPR (Commission Internationale de Protection Radiologique) ;
- ainsi que l’OMS (Organisation Mondiale de la Santé).
Concernant les réfugiés, le raisonnement adopté est celui de l'analyse coût-bénéfice qui conclut que la prise en charge de cette population déplacée restera beaucoup trop coûteuse à terme. Ainsi, dès septembre 2014, l'objectif n'est plus de prendre en charge l’évacuation des habitants et leur vie d’après, mais de construire la résilience et d'accepter pendant un certain temps un niveau de radioactivité plus élevé dans les territoires proches de la centrale.
Pour cela, d'importantes campagnes de communication, dont le programme Ethos Fukushima, créé pour aider les victimes de l'accident nucléaire de Fukushima (à l'image de celui de la catastrophe de Tchernobyl en 1986), sont menées afin de sensibiliser la population et plus particulièrement les enfants aux effets de la radioactivité. L'idée étant de leur apprendre à vivre avec et sans tabou.
La levée des interdictions et des aides au logement
Entre 2014 et 2019, la préfecture de Fukushima lève une bonne partie des restrictions géographiques dans les territoires évacués. Les exilés des villages concernés qui n'ont pas réussi à refaire leur vie ailleurs sont ainsi fortement invités à rentrer chez eux, d'autant plus qu'une "aide au retour" unique de 100.000¥ (~624€) est versée par foyer et que l'aide au logement pour les déplacés est stoppée définitivement en 2018.
Les autres départements qui accueillent également des réfugiés continuent sur une durée un peu plus longue ces subventions publiques, tandis que d'autres détruisent les habitations provisoires pour reloger les personnes dans de nouveaux habitats collectifs, plus durables mais dont le loyer est cette fois-ci entièrement à leur charge. Les stigmates des camps de refuge disparaissent peu à peu du paysage mais leur population n'est pas pour autant complètement prise en charge. Elle manque de reconnaissance par le gouvernement et se retrouve face à un choix cornélien :
- partir définitivement et se retrouver seule pour réussir sa réinsertion ;
- ou rentrer dans son village et devoir tout reconstruire avec le risque de radioactivité en plus.
Le retour au village pour les uns
En moyenne, au décompte de décembre 2020, 22% de la population initiale des territoires évacués et de nouveau habitables est rentrée chez elle, avec des disparités fortes entre les villages. Ceux réouverts dès les premières années (car situés les plus loin de la centrale) ont vu leur population revenir à plus de 50%. L’attachement à la terre et au furusato (故郷), le village de naissance, ainsi que des conditions d'intégration difficiles sont les principales raisons au retour de ces habitants. Cela concerne en priorité :
- ceux qui étaient propriétaires et/ou avaient une exploitation agricole, qui ont été le plus tentés de rentrer chez eux afin d'essayer de relancer leur activité ;
- la population la plus âgée qui, nostalgique de sa vie d'avant, a voulu rentrer pour retrouver un semblant de lien social perdu pendant l'exil ;
- certaines familles qui sont revenues pour fuir des situations d'intégration très compliquées.
En effet, ces dernières n'ont pas réussi le difficile projet de devoir se refaire sa vie dans une toute nouvelle ville et surtout avec un statut de victimes des radiations. Comme pour les hibakusha (被爆者), le surnom donné aux irradiés de Hiroshima et Nagasaki, certains enfants de Fukushima ont connu des problèmes d'exclusion et de harcèlement dans leur nouvelle école. Par peur de la contamination radioactive (放射能汚染, Hoshanô osen, en japonais) et parce qu'ils étaient nouveaux et donc différents du groupe, ils n'ont pas été accueillis à bras ouverts par leur nouvelle communauté. Se faire accepter par son environnement social proche est primordial au Japon et gage de bonne intégration. Mais la société japonaise peine à reconnaître les différences et à faire preuve de solidarité comme envers les nouveaux irradiés de Fukushima.
La population qui est retournée vivre dans les territoires évacués doit par ailleurs faire face à un paysage laissé à l'abandon pendant plusieurs années. La revitalisation au niveau local reste encore à déployer dans les années à venir avec le retour d'infrastructures du quotidien tels que les commerces de proximité, les établissements de santé et les écoles pour encourager les plus jeunes et actifs à revenir.
Il reste aujourd'hui l'équivalent de 2,4% du territoire de la préfecture Fukushima inhabitable.
Le choix du non-retour pour les autres
Les exilés de Fukushima qui sont partis en dehors de la préfecture et plutôt dans les grandes villes comme Sendai, Niigata ou bien Tokyo sont les moins enclins à revenir. Ils semblent avoir retrouvé "une vie normale" dans un environnement plus urbain et peuvent se passer de l'aide au logement pour pouvoir s'héberger.
Pour la plupart, ce sont des familles qui ont retrouvé un travail et élevé leur progéniture dans un nouveau cadre devenu leur quotidien. Les enfants n'ayant aucune envie de revenir en arrière poussent les parents à tourner définitivement la page de Fukushima.
La question de la radioactivité et de la gestion des déchets, liée aux actions de décontamination des sols et de la centrale de Fukushima Daiichi en cours de démantèlement pour des dizaines d'années, est également une raison importante au choix de non-retour. Ces exilés considèrent que la situation sanitaire n'est pas satisfaisante et ne le sera pas de sitôt, avec notamment les montagnes et les forêts environnantes qui ne peuvent pas être décontaminées par l'homme et restent donc polluées au césium pour longtemps.
Vers une justice par les tribunaux ?
En comparaison des régions d'Iwate et de Miyagi, la préfecture de Fukushima est celle qui prendra le plus de temps à se reconstruire totalement. Les conséquences de l'accident nucléaire sont toujours bien visibles, une décennie après les évènements et malgré une politique volontariste du gouvernement de repeupler rapidement les territoires sinistrés, mais à qui on reproche l'absence de dédommagements envers une population exilée qui a beaucoup perdu sur les plans matériel et humain.
Fin septembre 2020, la Haute Cour de Sendai au Japon confirme la responsabilité de Tepco et du gouvernement japonais dans l'accident nucléaire de Fukushima. Elle fixe un dédommagement d'un peu plus d'un milliard de Yens (~623,7 millions d'euros) en faveur de 3.550 plaignants. Le juge entérine le fait que les deux accusés n’avaient pas pris les mesures préventives nécessaires face à un possible tsunami de grande ampleur, alors que la probabilité que cela se produise dans cette région avait été identifiée bien avant 2011 par le ministère de l'Éducation, de la Culture, des Sports, des Sciences et de la Technologie.
Cette décision de justice permet d’apaiser un peu le sort des exilés de Fukushima, même si concrètement leur situation reste précaire et complexe pour une bonne partie d’entre eux. On peut retenir un dernier chiffre datant de 2018 : 2.211 est le nombre de victimes décédées à cause des mauvaises conditions d'exil (suicides liés au stress, maladies, etc.) qui est supérieur, dans la préfecture de Fukushima, à celui du nombre de victimes mortes du séisme et du tsunami corollaire (environ 1.605 morts).
La grande catastrophe de l'est du Japon a laissé une population survivante traumatisée qui panse ses blessures notamment par le devoir de mémoire et le désir de servir d'exemple aux générations futures. Le tourisme dans le Tohoku est toujours d'actualité et les principaux sites touchés comme la côte Sanriku ont été réhabilités. Dans la préfecture de Fukushima, la région intérieure d'Aizu regorge de beaux paysages et n'a pas été impactée par les retombées radioactives.