Fumio Kishida Visas

Après 2 ans de quasi-fermeture, le Japon joue à se faire détester

⏱ 10 minutes

Le 1er mars 2022, le Japon va enfin autoriser à nouveau les étudiants et professionnels à entrer sur son territoire. À l'exception d'une minuscule fenêtre circonvolutive en novembre dernier, cela faisait depuis fin décembre 2020 que ces centaines de milliers de visas laissés pour compte attendaient, avec à la clé des situations insupportables que nous avions recueillies dans notre article de témoignages :

Mais, fidèle à ses habitudes nationalistes renforcées par le nouveau gouvernement Kishida (en place depuis octobre dernier) et malgré une gronde domestique de plus en plus forte de la part des universitaires, du Medef local et même de membres du parti politique au pouvoir (y compris l'ancien Premier ministre Shinzo Abe !), des barrières importantes restent une entrave à cette véritable réouverture :

  • certes, le calendrier par date d'obtention du CoE est oublié, mais on rentre dans un système "premier arrivé, premier servi" où les universités et écoles de langue risquent de connaître une très forte pression ;
  • la quarantaine a été largement assouplie à 3 jours, mais les conditions pour bénéficier d'une exemption totale ne s'avèrent atteignables que par une petite minorité (avoir ses 3 doses, passe encore, mais la majorité des pays du monde sont toujours considérés "à risque" par la liste japonaise) ;
  • le quota maximum du nombre d'entrées quotidiennes au Japon est timidement passé de 3.500 à 5.000 personnes, un volume très insuffisant d'autant qu'il inclut toujours les Japonais de retour de l'étranger (et ils sont a priori majoritaires) que le Keidanren s'est d'ailleurs empressé de condamner ;
  • à quelques jours de cet assouplissement, le site Internet 📶 où effectuer la demande des visas n'est toujours pas en ligne (mise à jour : il l'est finalement le 25 février) ;
  • si les touristes ont été pour la première fois abordés à nouveau (du bout des lèvres !), ils restent le véritable angle mort de ces assouplissements aux frontières, toujours officiellement sans perspective concrète.

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Si d'un point de vue protectionniste, un certain nombre de mesures prises par le Japon peuvent s'entendre, sa position arcboutée a de plus en plus en mal à être acceptée et comprise à l'international.

🦠 Une gestion de la crise Covid qui laisse désormais à désirer

Jusqu'à l'été 2021, tout allait "pour le mieux" : le Japon faisait partie des très bons élèves, avec un nombre de contaminations et surtout de décès liés au Covid 🦠 parmi les plus bas au monde. Les plus fidèles lectrices et lecteurs de Kanpai le savent, car nous avons rédigé un article pour chacune des vagues successives subies par l'archipel :

En juillet 2021 pourtant, le vernis commence à se craqueler : la 5ème vague, estampillée Delta, met le système de santé au sol et fait ressortir tous les défauts de gestion structurels. En première ligne : la révélation pour beaucoup que ~7% seulement des hôpitaux japonais sont publics, que la majorité des cliniques privées n'acceptent pas de patients atteints du Corona, et donc que la saturation des lits arrive à vitesse grand V. Et ne parlons pas des (quasi) états d'urgence aux effets pour le moins douteux.

La 6ème vague, sous Omicron cette fois, prend le Japon dans un typhon 🌀 de nouveaux cas. À un point tel que le sous-dimensionné système de tests (8 fois moins de capacité qu'en France à population égale) prend l'eau, jusqu'à ce que le gouvernement décide d'arrêter de tester toutes les personnes non-considérées à risque. Pas de test, pas de Corona ? Hélas non : en février, jusqu'à plus de 300 Japonais décèdent quotidiennement du virus.

Un bien triste record, qui plus est probablement sous-estimé quand on le compare avec son voisin Sud-coréen : avec pourtant ~60% d'habitants en moins, le pays du matin calme remonte jusqu'à 70% de contaminations en plus mais... ~6 fois moins de décès (que l'on explique par une dose de rappel injectée à ~60% de sa population, contre ~15% au Japon).

Autre point qui fait grincer des dents donc : la vaccination. On a rappelé à de multiples reprises la lenteur de sa mise en place au Japon au premier semestre 2021. Alors que son rythme a enfin atteint des niveaux acceptables après la Golden Week, pour finalement atteindre les 80% de population couverte à l'automne 🍁, rebelote pour la 3ème dose ! Le gouvernement commet les mêmes erreurs et ne protège pas correctement sa population prise dans Omicron :

  • généralement 8 mois de délai entre la 2ème et la 3ème doses ;
  • attente de la réception de coupons papiers individuels ;
  • réservation anarchique et archaïque par téléphone ;
  • centres de vaccinations rouverts tardivement et en sous-effectif criant ;
  • quasiment pas d'inoculations les week-ends et jours fériés ;
  • etc.

Cette dose de rappel n'aura donc été injectée à la majorité de la population que d'ici la fin du premier semestre 2022.

Et quand le New York Times publie récemment un article selon lequel l'archipel a bien combattu le Covid, on doute de sa neutralité puisque l'auteur n'est autre que Hitoshi Oshitani, un expert médical conseiller du gouvernement japonais...

À de multiples reprises, le Japon a fait preuve de décisions politiques motivées, non pas sur des bases sanitaires, mais par un raisonnement démagogique de fierté nationale souvent déplacée.

🙅 L'étranger comme coupable idéal dans un climat de xénophobie exacerbée

On ne va pas refaire l'histoire, mais lorsque le gouvernement japonais refermait fin novembre 2021 ses frontières à peine ré-entrouvertes aux étudiants quelques jours plus tôt, officiellement par crainte d'Omicron, il était déjà trop tard : le nouveau variant était en effet déjà présent sur son territoire. Deux informations postérieures ont contribué à rendre cette position déplorable :

  • quelques semaines plus tard, on s'apercevait que l'armée américaine pouvait, elle, entrer dans ses nombreuses bases au Japon comme dans un moulin (sans vaccination obligatoire, ni test, ni quarantaine, ni masque...) ;
  • fin janvier, en pleine montée fulgurante des cas Omicron, le Premier ministre Kishida enfonçait le clou en affirmant que ses mesures restrictives aux frontières "portent leur fruits"...

Une position qui en dit long sur la supériorité ressentie par le modèle japonais et le faux sentiment de sécurité corollaire : pour schématiser, le virus viendrait tout simplement des étrangers. Ce sondage a nettement été pondéré depuis (on est plus proche des 50/50 désormais), mais en décembre 88% des interrogés validaient la fermeture des frontières, contredisant la position scientifique à la fois de l'OMS et du CDC qui expliquent que des telles mesures sont inutiles.

Au Japon pourtant, les idées reçues ont la peau dure et les situations "inélégantes" sont alors légion cet hiver :

  • le maire de Shizuoka, à propos de son premier cas Omicron fin décembre, expliquait : "le patient a eu un contact avec des résidents étrangers, et la contamination japonaise a peu de chances d'avoir lieu" ;
  • sévèrement brûlée au pied par la bouilloire de l'hôtel dès le début de sa quarantaine, une résidente a dû remuer ciel et terre pendant 4 jours pour finalement obtenir des soins à cause des restrictions, puisqu'elle revenait de l'étranger ;
  • un immigré Srilankais au visa expiré, soigné dans un hôpital à Hyogo pour complications liées au Corona, fut dénoncé par le personnel et arrêté dès la fin de ses soins ;
  • début 2022, le Ministère de la santé japonais décomptait toujours les nouveaux cas de Covid par provenance de l'étranger ;
  • un cluster géant de 400 cas fut découvert à l'Université de Keio pour "Seijin no Hi", la journée de célébration du passage à l'âge adulte, mais les articles à ce sujet furent rapidement effacés des médias japonais ;
  • et jusqu'à M. Sakai, reponsable Asie de l'OMS lui-même attribuait l'augmentation des cas Covid de certains pays à leur "manque de capacité dû à leur culture, race et niveau socioéconomique inférieurs"... Ambiance !

Cette xénophobie rampante, on l'avait déjà abordée fin 2020 dans un article qui revenait sur cette première année sous Corona :

Conséquence logique de ces mesures, sur l'ensemble de l'année 2021 (au cours de laquelle se sont pourtant tenus les décriés Jeux Olympiques 🏅) jamais aussi peu d'étrangers ne sont entrés au Japon depuis... 1966 ! Pour autant, d'ici 2040, le pays aura besoin de 4 fois plus de main d'œuvre étrangère qu'elle n'en possède aujourd'hui.
Encore faudrait-il qu'il ne frappe pas ses travailleurs immigrés, et que la justice condamne vraiment ces terribles agissements dans ce que l'on espère être un cas isolé.

🌏 La fin des restrictions de voyage dans la plupart des autres pays

En plein début de vague Omicron, l'Office national du tourisme japonais nous livrait une nouvelle vidéo promotionnelle, affirmant "attendre de nous inspirer" :

Le parallèle avec la réalité reste pourtant bien sec : le fait que ses mesures drastiques au frontières soient les plus dures du G7, le gouvernement japonais s'en vante martèle régulièrement. Pourtant, outre la forte protestation internationale qu'elles génèrent, elles s'avèrent aujourd'hui totalement à contre-courant d'une réouverture globale :

  • l'Union Européenne, en libre circulation depuis juin 2020, a même récemment harmonisé ses conditions de voyage ;
  • la Suisse et l'Islande ont levé l'ensemble de leurs mesures sanitaires, y compris le masque ;
  • les États-Unis ont rouvert au tourisme depuis début novembre ;
  • le Canada l'avait précédé mais allège encore ses dernières restrictions ;
  • la Thaïlande a abandonné sa quarantaine pour les touristes depuis le 1er février ;
  • l'Australie les accueille à nouveau depuis ce 21 février et rembourse même les PVT jusqu'au 19 avril ;
  • d'autres pays d'Asie ont repris l'accueil des visiteurs ou sont sur le point de le faire : Inde, Philippines, Indonésie, Singapour, Vietnam...

Même dans les pays à politique "zéro Covid" historiquement autarciques, les annonces ont déjà été données pour se préparer à la reprise :

  • la Nouvelle-Zélande a dévoilé son plan de réouverture qui se terminera avec les touristes en juillet au plus tard ;
  • Taïwan vise le 3ème trimestre en commençant par les groupes.

Face à eux, le Japon se positionne donc comme l'un des derniers pays à rester encore fermé au tourisme, mais pour combien de temps encore ? À ses côtés, on trouve notamment Hong-Kong, la Chine ou encore la Corée du Nord... Après 2 ans de malmenage de la part des Nippons, il nous semble encore bien loin cet Omotenashi que l'on aime tant, même si l'on commence à entrevoir la lumière au bout du tunnel.

En effet, outre cette pression internationale, plusieurs points vont dans le bon sens. Rien que cette quarantaine qui tend à disparaître va dans le sens d'une réouverture totale, puisqu'elle reste incompatible avec l'idée d'accepter des voyageurs en grand nombre. Il y a fort à penser que l'annonce tant attendue sera faite au dernier moment, avec un effet rapide. À ce jour, nous projetons une reprise du tourisme au Japon à partir de cette fin d'été, après les élections de la chambre haute du parlement. Cela bien entendu, sous réserve que la situation sanitaire continue à s'améliorer et en fonction d'un retour éventuel de la campagne de financement du tourisme domestique "GoTo Travel".

Comme nous l'avons fait depuis le début de la crise, nous vous tiendrons informés au fur et à mesure des évolutions et annonces qui auront probablement lieu dès les semaines à venir. Dans l'intervalle, notre prochain article sur le sujet devrait porter sur le pari risqué de l'économie japonaise sous ce néo-sakoku qui n'a que trop duré.

Mis à jour le 28 février 2022 - 2 Years of Quasi Shutting: Japan’s Love-Hate Relationship With the World Continues