Yoshihide Suga Tokyo 2020 July 1

Le tiraillement des expatriés au Japon en temps de Covid

⏱ 9 minutes

C'est peu dire que le Japon réussit sa guerre contre le coronavirus 🦠.
Avec des statistiques parmi les plus basses (et de loin) de tous les pays riches, il fait figure d'excellent élève dont les performances ont même été félicitées par l'OMS.

Brisant jusqu'aux velléités des cassandres et complotistes habituels en temps incertains, les faibles chiffres de surmortalité du printemps ont confirmé cette très bonne gestion de crise qui lui servira certainement quand viendra le temps de choisir une nouvelle destination de voyage : entre les États-Unis, le Brésil ou encore la Russie et le Japon, beaucoup pencheront vers ce dernier pour des raisons sanitaires évidentes, et à raison.

Même lorsque les courbes du nombre de cas ré-augmentent légèrement fin juin à Tokyo, les titres "putaclics" des médias (qui se disent) spécialistes oublient de préciser que la quantité de tests ciblés explose dans le même temps, et que le nombre de décès reste au ras des pâquerettes.

Pour atteindre cela, les réactions du gouvernement japonais (bien que limitées constitutionnellement, mais justes à titre domestique et bien suivies par le civisme de sa population) peuvent sembler démesurées vis-à-vis de l'extérieur, en particulier lorsque les Nippons renouent avec leurs traditions autarciques ancestrales. Chassez le naturel...

Cette rigidité, qui pousse parfois au grotesque, place de facto les expatriés dans une situation au mieux de purgatoire, au pire de limbe dans lesquels nombre d'entre eux se voient de plus en plus prisonniers à mesure que le temps s'écoule sans décisions concrètes de la part des instances de Shinzo Abe.

Coincés dans leur pays d'adoption sous peine de ne pouvoir y ré-entrer...

Comme tout immigré qu'il est, l'expatrié au Japon voit sa présence dans le pays soumise à des règles strictes, à commencer par son visa de résidence, temporaire dans l'écrasante majorité des cas.
Si l'immigration a fait preuve d'une souplesse magnanime en prolongeant temporairement la validité de certains titres de séjour (sa majesté est trop bonne !), le statut d'expatrié au Japon est dans le même temps devenu une sorte de prison dorée.

L'ambassade du Japon en France a beau bomber son torse institutionnel en relayant de récents et maigres assouplissements de ré-entrée (les conditions très restrictives se sont vues timidement amendées fin juin notamment par les urgences médicales ou judiciaires, peu appliquées dans les faits), la réalité c'est qu'en ce mois de juillet 2020, malgré la confusion liée à la réouverture de l'espace Schengen depuis 14 pays dont le Japon, la réciprocité n'est pas suspensive et conséquemment, il est toujours quasiment impossible pour une personne d'une des 159 (!) nationalités de leur liste rouge de franchir la frontière nipponne.

Peu importe qu'il soit marié avec un local, muni d'un visa de résident permanent et/ou qu'il y paye tous ses impôts depuis 30 ans (taxes de résidence et locale, impôts sur le revenus, assurances et retraite... et même s'il a des salariés sur place), le gaijin reste par nature et par définition même une "personne de l'extérieur". Celui ou celle qui l'aurait oublié se le voit revenir en pleine figure aujourd'hui comme un boomerang au wasabi.

Jugez plutôt l'absence de logique voire la cruauté de certaines situations :

  • L'expatrié qui comptait passer des vacances avec son enfant half dans son pays natal, afin qu'il retrouve ses grands-parents cet été, se verra au retour interdire la ré-entrée au Japon alors que son enfant rejoindra tranquillement son second parent.
  • Si un membre de sa famille décède, impossible pour l'expatrié de revenir assister aux obsèques sans se retrouver coincé hors du Japon pour une durée indéfinie (lire ce témoignage révoltant).
  • De nombreux étudiants rentrés au pays pendant les vacances de février-mars n'ont pas pu revenir suivre les cours de la fin d'année ; dans les cas les pires, ils risquent un renvoi de leur université.
  • Et que penser des couples bi-nationaux dont l'époux/se, "coincé(e)" hors des frontières nipponnes, ne peut voir son aimé(e) depuis déjà 4 mois ?

Le Japon est le seul des pays du G7 à refuser la ré-entrée de ses résidents étrangers long-termistes, ce qui n'aide certainement pas à redorer son blason immigratoire.
Et naturellement, les médias nationaux traitent cela peu ou prou, plaçant la population dans l'ignorance, quant ils ne font pas preuve d'une discrimination basique en considérant que tous les étrangers au Japon sont de passage.
Les officiels japonais voudraient faire fuir les investisseurs et talents étrangers qu'ils ne s'y prendraient pas mieux...

Le 7 juillet, l'Allemagne décide en représailles de refuser l'entrée de citoyens japonais sur son territoire tant que ses ressortissants ne pourront retourner au Japon.

Il y a également ceux dont le visa risque d'échoir avant même qu'ils ne puissent partir, ou au moins d'être sérieusement raccourci. Prenez l'exemple de ceusses qui ont obtenu un PVT début mars. Le visa vacances-travail, valable un an maximum et obtenable une seule fois dans sa vie, va-t-il être prolongé par le gouvernement japonais ? Rien n'est moins sûr...

Dans le même temps, les Japonais de souche, eux, même s'ils se rendent dans un pays durement touché par le coronavirus, reviendront au pays sans problème, avec une petite courbette en prime. Et ce, pour une raison simple : l'immigration japonaise ne peut légalement pas interdire le retour de ses natifs dans leur pays.
L'utilisation de cette faille a permis au YouTuber Louis-san, qui vit en France mais dispose d'un passeport japonais, d'entrer au Japon comme dans du beurre début juillet, sur un vol en provenance de Paris (et il aurait bien tort de ne pas exploiter le système) :

... et paupérisés par une activité en berne dont il sont la dernière roue du carrosse...

Comme partout dans le monde, l'économie japonaise, bien que peu impactée grâce à l'absence de confinement strict, a vu une chute logique des investissements de ses entreprises. En corollaire, le marché du travail se veut moins dynamique et le nombre de baito (petits boulots) a fondu comme neige ❄️ au soleil, renforçant le recrutement des autochtones sur les expats.

Bien entendu, le domaine du tourisme est le plus touché et l'on se demande d'ailleurs bien pourquoi le gouvernement japonais n'a toujours pas daigné lui donner un coup de pouce sectoriel, hormis son éventuelle campagne "Go To Travel" destinée aux visiteurs domestiques.

Nombre d'expatriés qui travaillent dans l'industrie touristique réceptive au Japon avaient déjà une autre activité en parallèle, pour pallier la forte saisonnalité des flux de visiteurs étrangers, désespérément coincés sur trois pics que sont (dans l'ordre) les mois d'avril, d'août et d'octobre.

Ainsi, beaucoup travaillaient déjà dans la traduction à côté et/ou donnaient des cours de langue pour lisser les disparités en périodes creuses. Aujourd'hui, la situation qui s'enlise en oblige certains à pivoter plus durement, à contre-cœur.

Naturellement, les indépendants sont les plus fragilisés, malgré les aides du gouvernement :

  • 100.000 Yens (~607€) pour chaque résident au Japon, qui commencent à être versés en ce début d'été ;
  • jusqu'à 1 million supplémentaire (~6.066€) pour tout indépendant déclaré pouvant justifier d'une chute de chiffre d'affaires du printemps 2019 comparativement à celui, terrible, de 2020.

Les salariés sous contrat (shain), il va sans dire, sont les mieux couverts. Cependant, ceux ayant réussi à obtenir le précieux sésame représentent une minorité des expatriés au Japon.

... mais ravis de bénéficier d'un Japon vidé de ses touristes, quitte à en devenir condescendants

Quand bien même la consigne officielle les a empêchés de changer de préfecture pendant plusieurs semaines voire des mois, quand bien même nombre d'attractions avaient réduit la voilure voire fermé leurs portes au plus fort de la méfiance (une période révolue, alors que les derniers petits retardataires comme Tokyo DisneySea ou le Musée Ghibli accueillent prochainement de nouveaux les visiteurs), les expatriés au Japon se sont vus positionnés involontairement sur un piédestal alors que leurs concitoyens ne pouvaient les rejoindre.

"Quel bonheur de profiter des sakura 🌸 sans les touristes !" ; "J'espère que les frontières resteront longtemps fermées !"... On en a lu des inepties, ces derniers mois, à commencer par nos espaces sur Kotaete et notre page Facebook, où les aigris et trolls de tous poils s'en sont donné à cœur joie.
En période anxiogène, les esprits s'échauffent et les débats se cristallisent. Nous en avons donc profité pour mettre à jour Kotaete avec plusieurs fonctions bienvenues pour améliorer les échanges et réduire la portée des malotrus.

La réalité, c'est que les gens ont une envie furieuse de (re)partir au Japon. De jockeys dans leur box avant une course hippique, attendant que la barrière s'ouvre pour foncer prendre le premier avion, les amoureux du soleil levant sont devenus de véritables lions en cage qui grognent contre la prudence extrême des ministères japonais qui confine, comme souvent sur leur plan bureaucratique, à l'absurde.

Après le sale épisode Carlos Ghosn depuis fin 2018, on aurait pu espérer du Japon qu'il réfrène autant que possible ses relents nationalistes voire xénophobes.

L'Office du Tourisme au Japon lui-même le prédit, presque non sans cynisme, dans la vidéo ci-dessus :

  • "L'espoir illumine la route"
  • "Au-delà des nuages, il y aura la lumière"

Patience et longueur de temps. Le Japon est une destination affinitaire dont le secteur touristique, depuis les campagnes successives des années 2000 et 2010 puis couronné par l'obtention des Jeux Olympiques 🏅, a pris une part de son PIB de plus en plus notable (près de 10%) et donc non ignorable.

Les derniers mois nous incitent à la prudence quant à vous affirmer de quoi l'avenir sera fait, principalement en terme de calendrier à court terme, mais une chose est sûre : on retrouvera bientôt le Japon tel qu'il l'était en 2019 ! Et l'on espère bien sûr que tout cela ne sera plus alors qu'un mauvais souvenir.

Résolutions tardives

Heureusement, mi-juillet, à la suite de pressions notamment de la diplomatie américaine, le gouvernement japonais annonce travailler à un dispositif de ré-entrée pour certains résidents étrangers à partir d'août, sous condition de tests PCR et d'une quatorzaine à l'arrivée.

Quelques jours plus tard, on apprend que ~90.000 étrangers auraient été concernés par ces restrictions !

Les professeurs d'écoles internationales au Japon peuvent revenir au Japon depuis le 4 août.

À partir du 5 août, tous les expatriés ayant quitté le Japon avant le 26 mars peuvont enfin y retourner, levant ce premier blocage.

À partir du 1er septembre, tous les expatriés munis de visas de résidence sont enfin autorisés à retourner au Japon, sous conditions de tests PCR et d'une quatorzaine à l'arrivée, mais la nouvelle souche du virus découverte en décembre 2020 referme les frontières pour un mois.

Mis à jour le 30 décembre 2020 - Covid-19 Pandemic: The Dire Straits of Foreign Nationals living in Japan