La 5ème vague de l’été 2021 a fait perdre au Japon son immunité Covid
Alors que l'archipel avait été relativement épargné jusqu'à présent, il fait face actuellement à sa première véritable épreuve sanitaire sur le plan national. Le Premier ministre Yoshihide Suga parle d'une vague "sans précédent" et "complètement inattendue" mais sur ce dernier point, il n'y avait pourtant pas de raison pour que le Japon fût épargné par l'arrivée du terrible variant Delta.
Comme désormais traditionnellement sur Kanpai à chaque vague depuis le début de l'épidémie, nous faisons un point sur l'état de la situation Corona au Japon.
🦠 Un nombre de contaminations qui explose
Le Japon a hélas vu son record du nombre de cas littéralement catapulté en ce mois d'août : on dénombrait ainsi près de 25.000 nouveaux atteints du Covid par jour en milieu de mois, pour seulement 120.000 tests, soit un taux de positivité autour de 20% ! Plus du quart de ces contaminations le sont dans la capitale, et une bonne moitié en incluant le grand Tokyo. C'est déjà 4 fois plus que lors des 3ème et 4ème vagues en hiver puis au printemps 🌸. Il avait fallu 1 an et 3 mois pour atteindre les 500.000 premiers cas au Japon ; il n'aura fallu que ce mois d'août 2021 pour passer d'1 à 1,5 millions.
En comparaison, certes avec 2 fois moins d'habitants, la France compte environ autant de cas quotidiens supplémentaires pour 5 fois plus de tests (!), soit un taux de positivité de 3% seulement. Le gouvernement nippon persiste dans sa politique de l'autruche et il est inutile de préciser qu'avec une recherche de cas aussi basse, le nombre de Japonais atteints du Covid est très certainement largement sous-estimé. Il faut dire qu'il est très compliqué et toujours coûteux (au minimum 3.000¥ / ~19,03€) d'obtenir un simple PCR au Japon, même si l'on est cas-contact...
Mais plus que le nombre brut de cas, ce sont bien les patients aux symptômes sévères qui inquiètent : ils étaient plus de 1.700 à la mi-août et plus de 2.000 fin août. Alors que le système de santé japonais compte seulement 1 hôpital public pour environ 15 cliniques privées, ces dernières ne pouvant pas être mobilisées et refusant en majorité les patients Covid, l'équation est simple : les lits de réanimation disponibles sur l'archipel sont très rapidement saturés. Dans la presse nipponne, on continue donc de lire de terribles articles au sujet de patients dont les ambulances enchaînent les cliniques qui les refusent — pas moins de 120 d'affilée (!) pour cet homme de 50 ans le 9 août. Ces malades ne sont d'ailleurs pas tous atteints du Coronavirus 🦠, l'engorgement des hôpitaux touchant évidemment tous les malades. Le 17 août, une femme enceinte de Chiba positive au Covid n'a été acceptée dans aucun hôpital, a dû accoucher chez elle d'un bébé prématuré qui est finalement décédé.
En juillet, les politiques au pouvoir demandaient aux patients atteints de symptômes Covid modérés de rester chez eux et ne pas se rendre à l'hôpital. Rappelons que cela englobe les personnes ayant des difficultés à respirer pendant plusieurs jours voire ayant besoin d'être placées sous assistance respiratoire donc, selon le médecin Kosuke Yasukawa, une épreuve souvent pire que ce que la plupart des gens (n'ayant pas connu de maladie grave) auront à subir dans leur vie. Sans surprise, les contaminations intra-familiales et les décès à la maison s'accumulent après de brusques aggravations des symptômes.
Le ministère de la santé insiste donc sur un traitement censé réduire les risques d'hospitalisation pour les nouveaux patients Covid, à base de "casirivimab" et "imdevimab" injectés en intraveineuse.
Par ailleurs, il est important de noter que ces statistiques sont toujours en phase ascendante, renforcées par les festivités Obon et le retour en famille, donc le pic de la 5ème vague japonaise n'a malheureusement pas encore été atteint au moment de la publication de cet article. Ainsi, les lits de réanimation pourraient être occupés jusqu'à octobre.
🏅 Des Jeux Olympiques comme bouc émissaire
Nous ne reviendrons pas sur la mascarade qu'ont été ces Jeux Olympiques 🏅 de Tokyo 2021, et surtout le manque à gagner terrible qu'ils ont induit. En effet, ils auraient pu se dérouler à peu près n'importe où dans le monde ou presque, puisqu'en l'état la plupart des épreuves étaient situées en intérieur, dans des gymnases ou des stades désespérément vides. Et d'avoir aperçu subrepticement le Rainbow Bridge ou encore le robot géant Gundam d'Odaiba ne nous a pas remonté le moral.
Bien plus dommageable est le choix du gouvernement japonais qui n'a pas jugé utile, sinon d'autoriser les journalistes étrangers à tourner des reportages à Tokyo après la fin de leur quatorzaine, au moins de présenter toute la richesse de l'archipel à travers des petits films ou des pastilles vidéos à destination des milliards de téléspectateurs ayant suivi l'évènement. En l'état, cette campagne de communication à 15 milliards de dollars sans aucune promotion de son pays a de quoi laisser pensif...
Ces JO furent parfois traités comme un coupable idéal alors qu'en réalité, ils n'ont représenté qu'une poussière dans la résurgence du virus causée par le variant Delta : au final, on y a dénombré environ 500 cas liés seulement, sur les 2 semaines qu'aura duré la compétition. Le supposé "variant JO", fantasmé par certains Cassandres, n'était donc qu'une sottise de plus.
Gardons toutefois un point de vigilance sur :
- le nouveau variant Lambda, rapporté sur le territoire par une Japonaise liée aux Jeux, qui s'est rendue au Pérou (d'où ce variant est originaire) et en est revenue 3 jours à peine avant la cérémonie d'ouverture ;
- le "nouveau Delta", variant du variant ;
- le variant Mu (en provenance de Colombie où il sévit depuis janvier), que les vaccins ne couvriraient pas ;
- les variants Eta et Kappa, également surveillés par l'OMS et déjà sur le territoire japonais (une petite vingtaine de cas chacun début septembre).
Totalement fermé aux touristes depuis bientôt 18 mois, comme l'ont honteusement montré ces Jeux Olympiques tenus à huis clos, le Japon ne veut pas encore se risquer à esquisser de date de réouverture des frontières, mais nous pensons que cela sera à partir de début 2022, comme l'explique notre calculateur ci-dessous.
Les Jeux Paralympiques, eux, se tiendront à Tokyo du 24 août au 5 septembre, également sans spectateurs.
⚠️ Un état d'urgence quasi-permanent mais inutile
Les Japonais continuent globalement de suivre les gestes-barrière, même si l'on sent parfois du relâchement au niveau du port du masque 😷 en intérieur (par exemple dans les transports en commun ou certaines boutiques).
L'état d'urgence, instauré principalement dans la capitale et d'autres préfectures densément peuplées, ne s'est quasiment jamais arrêté depuis le début de l'année et semble se prolonger sans fin concrète envisageable (actuellement au 12 septembre). Pourtant, on peut désormais affirmer sans rougir qu'il ne sert quasiment à rien :
- incitations au télétravail et à rester chez soi peu suivies, les mouvements de populations dans le métro étant revenues dès le printemps 2021 aux niveaux d'avant-pandémie ;
- interdiction de servir de l'alcool peu respectée (par exemple, 40% l'enfreignent à Shinjuku et alentours) ;
- fermeture des bars et restaurants après 20 heures non plus ;
- aides aux entreprises lacunaires et difficiles à obtenir, même si M. Suga envisagerait 300 milliards de Yens supplémentaires (~1,9 milliards d'euros) ;
- annulation ou réduction de matsuri pourtant en extérieur donc moins risqués ;
- extinction des néons dans les quartiers touristiques plus symbolique qu'autre chose.
Entre les classements en état d'urgence et "quasi état d'urgence" (sic), 29 préfectures sur 46 au Japon sont concernées : tout le grand Tokyo, le Tokaido, Osaka et Kyoto, Hokkaido, Okinawa, etc. Dans les milieux proches du pouvoir, on parle de plus en plus de l'élargir au niveau national, mais à quoi bon ?
Conséquemment, le ras-le-bol monte au sein de la population : un sondage Kyodo du 16 août créditait le gouvernement japonais de seulement 32% de soutien, alors que 65% du public ne souhaitait pas que son Premier ministre Yoshihide Suga reste aux commandes. Des élections nationales se tiennent autour du 21 octobre (au plus tôt le 26 septembre et au plus tard le 28 novembre) pour permettre au peuple japonais de choisir son prochain parti au pouvoir ; gageons qu'on y trouvera du "dégagisme".
D'ici là, des mesures plus coercitives comme le confinement ne sont pas à l'ordre du jour, car elles nécessiteraient de profonds changements législatifs. En attendant, ce sont les municipalités elles-mêmes qui prennent des initiatives, comme le maintien des écoles fermées à Yokohama pour la rentrée de fin d'été.
💉 Une vaccination tardive et parfois perturbée
À la mi-août 2021, environ 50% de la population nippone a reçu au moins une dose de vaccin. Une statistique qui commence à rassurer, après un démarrage de la campagne particulièrement tardif et terriblement lent. Le rythme s'est certes fortement accéléré après la Golden Week mi-mai, mais des craintes de ruptures de stock et surtout l'enchaînement des jours fériés mettent régulièrement à mal le maintien d'un niveau élevé d'injections.
À noter qu'aucun pass sanitaire n'a été mis en place au Japon à l'heure actuelle, et que le passeport vaccinal ne sert pour les Japonais qu'à éluder la quatorzaine lors d'un voyage dans une petite poignée de pays étrangers partenaires (en France depuis le 20 août mais ni aux États-Unis, ni au Royaume-Uni ou plein d'autres qui condamnent à juste titre l'absence de réciprocité). À l'arrivée sur le territoire japonais ou sur place, on est de toute façon traités de la même manière que l'on soit vacciné(e) ou non.
Les chiffres mondiaux le montrent pourtant à l'occasion de cette déferlante Delta estivale : c'est bien la progression de la vaccination qui permet de désengorger les hôpitaux, un objectif particulièrement urgent au Japon. L'immunité collective devrait être atteinte courant novembre, mais on parle déjà d'inoculer une 3ème dose de Pfizer ou Moderna (voire Novavax) pour les plus âgés et les immuno-déprimés, à compter de 2022, au mépris du besoin des pays pauvres.
Encore faudrait-il que la pression se relâche sur la prise de rendez-vous, encore et toujours une véritable foire d'empoigne actuellement pour la population générale au Japon. Quand on y arrive enfin, les délais peuvent dépasser un mois d'attente pour la première dose, et gare à ne pas annuler ou le coupon de réservation est perdu !
Pour prendre un pays comparable : le voisin Sud-Coréen, qui a fermé ses frontières encore plus durement et a commencé sa campagne vaccinale à peu près à la même période, a mal négocié ses commandes et se retrouve non seulement à la traîne, mais durcit les restrictions sanitaires pour faire face à sa propre hausse des cas. Comme quoi le protectionnisme et le rejet de la faute sur les étrangers a bon dos !