Jidai Matsuri (Kyoto), procession de l'époque de Muromachi

La période de Muromachi

Renouveau culturel et guerre civile sous le règne des Ashikaga

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L’époque de Muromachi est celle du règne des shoguns Ashikaga et dure de 1336 à 1573. Elle est marquée par l’instabilité politique et la violence ; son dernier siècle, Sengoku Jidai, pouvant être considéré comme une longue guerre civile. Celle-ci n’empêche toutefois pas le développement économique et culturel du Japon recentré dans la région du Kinai, autour de Kyoto.

La période de Muromachi marque le retour de l’autorité à Kyoto après Kamakura. Elle a été nommée d’après le quartier de Muromachi, situé à l’angle nord-ouest du Palais impérial Kyoto Gosho où Yoshimitsu, le décisif 3ème shogun Ashikaga, avait installé sa résidence Hana no Gosho, près d’Imadegawa à partir de 1378. Il n’en reste aujourd’hui qu’une stèle commémorative.

La période se termine dans le dernier quart du XVIe siècle, en 1568 ou 1573 selon les définitions retenues. Certaines avancent même 1477, la fin de la guerre d’Onin, qui marque le début de Sengoku Jidai et qui divise symboliquement le règne des Ashikaga en 2 parties.

L’âge d’or des Ashikaga et la guerre civile Sengoku Jidai

Après la chute du shogunat de Kamakura, l’empereur Go-Daigo règne pour une courte période appelée "Restauration de Kenmu" (1333 - 1336). Cependant, son ancien allié Ashikaga Takauji (1305 - 1358) se retourne contre lui et met à profit les divisions de la maison impériale pour se faire octroyer le titre de shogun et accéder ainsi au pouvoir. Il soutient une branche adverse de la famille impériale, créant l’opposition entre les Cours du Sud (à Yoshino) et du Nord (à Kyoto) qui durera jusqu’en 1392.

Mont Yoshino (Nara), temple de l'ancienne capitale de la Cour du Sud avec cerisiers en fleurs

Ce conflit est réglé par Ashikaga Yoshimitsu (1358 - 1408) dont le règne de 1368 à 1394 est considéré comme le début de "l’âge d’or des Ashikaga". Yoshimitsu a fortement marqué l’époque de Muromachi en mettant fin à une longue instabilité politique. Son autorité n’étant surpassée que par celle de l’empereur, il a notamment :

  • rétabli les relations diplomatiques avec la Chine des Ming (en 1401) après une longue rupture des échanges officiels de près de 4 siècles ;
  • soutenu le courant Zen avec l’édification du temple Shokoku-ji (1382 - 1392).

Yoshimitsu était grand amateur d’art, et sa villa de Kitayama où il s’était retiré en 1395 deviendra après son décès le fameux Pavillon d’Or (Kinkaku-ji) et centre de la "culture de Kitayama", associant le luxe à la simplicité et au raffinement en une combinaison des goûts aristocratiques et guerriers.

Cependant, à partir du milieu du XVe siècle, l’autorité des shoguns décline, et le point de non-retour est atteint avec le déclenchement de la guerre d’Onin (1467 - 1477). Celle-ci est l’aboutissement de plusieurs conflits autour de la succession du shogun Ashikaga Yoshimasa (1435 - 1490, règne de 1449 à 1473) et devient le 1er de la période ultérieurement nommée Sengoku Jidai (戦国時代), "époque des provinces en guerre" ou "l’ère des Royaumes combattants", en référence à une période historique chinoise, qui durera jusqu’au dernier quart du XVIe siècle et bouleversera durablement le cœur de l’archipel.

Kinkaku-ji (Kyoto), vue sur le Pavillon d'Or d'Ashikaga Yoshimitsu

Complexification de l'organisation sociale

De retour à Kyoto, le pouvoir temporel est exercé par les Ashikaga selon le même type d’organisation que le shogunat de Kamakura. L’influence du clergé bouddhiste est aussi détournée au profit du nouveau bakufu en mettant l’accent sur le maillage du territoire par des temples ankokuji ("temples pour la paix du pays") et en favorisant la diffusion du bouddhisme Zen. La hiérarchie du "système des Cinq montagnes" est aussi exploitée pour contrer les capacités militaires des monastères et congrégations religieuses qui s’étaient épanouies durant l’époque de Kamakura.

Muromachi marque une recomposition progressive de la société japonaise, surtout pendant sa seconde moitié, que les contemporains ont nommée "gekokujo" (下剋上) ou "le renversement des forts par les faibles". Cette sorte de "monde à l’envers" se manifeste notamment par :

  • l’appropriation du pouvoir au niveau national et provincial par la classe des guerriers ;
  • l’affirmation des communautés rurales dans la gestion locale et l’apparition de guildes professionnelles dans les villes ;
  • l’affaiblissement politique et économique de l’aristocratie et de la famille impériale ;
  • la perte de l’influence politique des grands monastères et établissements religieux du Kinai.

Le délitement de l’autorité centrale permet en effet la montée en puissance des gouverneurs militaires provinciaux, les shugo, qui tiraient des revenus importants de leur charge administrative. Les domaines sont recomposés au détriment des anciens propriétaires aristocrates et au bénéfice de ceux qui vont devenir les daimyo (les seigneurs) durant la période Sengoku (entre 1477 et 1573) qui y créent des états indépendants.

Dynamisme de l’économie et des échanges

Bien que l’époque de Muromachi soit marquée par la prédominance de la violence pour la résolution de conflits et les révoltes paysannes, le pays continue à se développer notamment grâce à :

  • une hausse du rendement agricole (mise en culture de nouvelles terres, pratique de la double récolte annuelle, amélioration des techniques d’irrigation, de l’outillage) ;
  • et par conséquent un essor des échanges, avec la multiplication du nombre de marchés.

La reprise des relations officielles avec le continent asiatique permet également l’importation de grandes quantités de monnaie et d’objets précieux. Ces échanges font d’ailleurs partie d’un système de commerce contrôlé par les autorités chinoises qui délivrent des certificats aux seuls navires autorisés à accoster dans leurs ports, excluant les contrebandiers et pirates Wako en plein essor au XIVe siècle.

Les progrès dans la construction navales sont aussi un des facteurs de l’accroissement du commerce maritime depuis la baie d’Osaka (Hyogo et Sakai) au sein de la mer intérieure de Seto, mais aussi sur l’ensemble des côtes du Japon et jusqu’à Aomori, avec le développement de bourgades portuaires : Onomichi, Tsuruga près de Fukui, Kanazawa ; ou plus globalement de villes sur les principaux axes de communication : Otsu, Uji. À Kyushu, Hakata reste la principale porte d’accès vers le continent asiatique.

Onomichi (Hiroshima), pagode Tenneiji sur le Chemin des temples et vue aérienne sur la mer intérieure de Seto

Le royaume des Ryu-Kyu (Okinawa) se constitue au cours des XIVe et XVe siècles et, tout en restant indépendant, va servir de relai entre le clan Satsuma de Kyushu et la Chine.

Au nord, les échanges et le commerce s’intensifient entre les Aïnous, qui peuplent Hokkaido, et le domaine de Mutsu (dont la capitale est Hirosaki dans l’actuelle préfecture d’Aomori) au XIVe siècle. À partir du XVe siècle, on assiste même à un début de migration de populations de Honshu vers le sud de Hokkaido.

Enfin, les premiers Européens débarquent au Japon au sud de Kyushu en 1543 et y introduisent les premières arquebuses. Un peu plus tard en 1549, ce sont les missionnaires jésuites, dont le fameux "Apôtre des Indes" François Xavier (1506 - 1552), qui arrivent à Kagoshima et commencent à convertir la population au christianisme.

C’est au cours du XVIe siècle également, à la fin de la période de Muromachi, que le Japon devient un des principaux exportateurs de minerai d’argent dans le monde, notamment grâce à l’exploitation des mines d’Iwami Ginzan dans le Chugoku.

Iwami Ginza (Oda, Chugoku), entrée du tunnel de mine d'argent Ryugenji Mabu

Augmentation de la population et urbanisation

La population est avant tout rurale, mais une tendance au regroupement de l’habitat apparaît, en partie pour des questions de défense. Kyoto et Kamakura restent les deux plus grandes cités, mais le nombre de villes croit rapidement aux XVe et XVIe siècles, principalement dans le Kinai qui est au cœur de toutes les activités.

L’institutionnalisation des marchés et la construction de complexes religieux, la présence de l’un invitant à l’installation de l’autre et vice-versa, sont à l’origine de l’apparition d’espaces urbains nouveaux comme :

  • les villes de temples (monzenmachi), comme Sakamoto, au pied du Mont Hiei, ou ;
  • les villes-sous-le château (jokamachi) dont l’essor est notable lors de la période Sengoku, en raison de la généralisation des conflits et par conséquent de l’augmentation de l’édification de places fortes.

Entre la fin du XIIIe siècle et le milieu du XVe siècle, la population serait passée d’environ 6 à 10 millions d’habitants à 15 à 17 millions à la veille de l’époque d’Edo, principalement dans la région centrale du Kinai.

Château de Takeda (Hyogo), ruines fortifiées au sommet du mont Kojo et ville moderne dans la vallée

Culture féodale florissante

La période de Muromachi voit les débuts du développement des arts et traditions qui caractérisent le plus le Japon du point de vue des visiteurs extérieurs aujourd’hui. Le bouddhisme Zen est au cœur des cercles politiques et bénéficie de leurs influence et richesse tant pour prospérer sur le plan matériel que pour sa diffusion dans la population.

Les objets et édifices de cette époque ont été diversement préservés, en particulier à Kyoto partiellement détruite dès la guerre d’Onin. On peut cependant encore visiter des lieux marquant le renouveau de l’art des jardins, qui délaisse le simple agrément pour des valeurs plus Zen de contemplation, de méditation et de promenade :

  • le Saiho-ji (Kokedera) ou temple des mousses, qui abrite un exemple ancien de jardin sec karesansui (mi-XIVe siècle),
  • ou le jardin du Ryoan-ji à Kyoto, arrangé au début du XVIe siècle dans l’enceinte du temple fondé en 1450.

L’architecture des résidences seigneuriales et monastiques voit naître le style Shoin, caractérisé par un plancher couvert de tatamis, des cloisons intérieures fusuma couvertes de papier opaque, et l’utilisation de piliers carrés. Le plus ancien exemple est le pavillon Togudo, qui appartenait à la résidence du shogun Yoshimasa au Pavillon d’argent. C’est d’ailleurs le Ginkaku-ji qui est au cœur du développement de la "culture de Higashiyama", mettant l’accent sur la modestie. On y assiste aux balbutiements de la cérémonie du thé et de l’esthétique japonaise wabi-sabi.

Ginkaku-ji (Kyoto), vue sur le pavillon Togu-do et l'étang en automne

Sur le plan pictural, la peinture monochrome à l’encre de Chine Sumi-e (ou suiboku-ga) connaît son âge d’or, stimulée par la circulation des œuvres entre le continent et l’archipel, et porte un intérêt grandissant pour la représentation de la nature. La peinture japonaise de style Yamato-e s’épanouit à la Cour impériale, certaines écoles se tournent vers la réalisation de portraits, et l’ornementation s’étend à tous les types de supports avec une prédilection pour les couleurs, la somptuosité et l’utilisation de feuilles d’or ou d’argent.

Plusieurs musées au Japon exposent des œuvres de l’époque de Muromachi, citons par exemple le Musée d’art Nezu à Tokyo, le Musée National de Tokyo ou encore le Musée d’art MOA à Atami.

La culture de Kitayama, autour du shogun Yoshimitsu, participe à la naissance du théâtre No dérivé de danses sacrées traditionnelles, particulièrement apprécié des élites. La culture de Higashiyama, quant à elle, promeut le théâtre comique et satirique Kyogen, qui se répand dans la population générale.

Suigian (Tokyo), représentation d'une pièce de théâtre Kyogen

Ces tendances à la profusion artistique vont s’épanouir à la période suivante, appelée Azuchi-Momoyama. Cette subdivision historique marque la transition d’une période de conflit permanent à une unification du territoire japonais sous l’égide de 3 personnalités essentielles de l’histoire du Japon : Oda Nobunaga, Toyotomi Hideyoshi et Tokugawa Ieyasu.

Mis à jour le 16 février 2024 - Muromachi Period