La période de Kamakura
Le premier Bakufu japonais
L’époque de Kamakura s’étend sur un siècle et demi, entre deux guerres de succession au trône impérial, de 1185 à 1333. Elle marque l’entrée du Japon dans la période médiévale régie par la classe des guerriers. Son nom provient de la ville éponyme où s’est installé le pouvoir shogunal, loin de la capitale Kyoto et des intrigues de la Cour impériale, et pour la première fois en dehors de la région du Kansai.
Aussi nommée "premier Bakufu" ("gouvernement sous la tente", c’est-à-dire des guerriers), cette période débute à l’issue de la victoire de Minamoto no Yoritomo (1147 – 1199) à la bataille de Dan-no-ura (détroit de Shimonoseki entre Kyushu et Honshu) qui met un point final à la guerre de Gempei et au long conflit opposant les clans ennemis Minamoto et Taira.
Yoritomo, qui a organisé et rallié les clans du Kanto à la cause de l’empereur retiré Go-Shirakawa, est bien établi dans les territoires de l’est de Honshu. Il s’installe à Kamakura, une bourgade suffisamment éloignée de l’influence de la Cour, mais stratégiquement placée entre le Kansai et le Kanto. Son règne débute officiellement en 1192 lorsqu’il reçoit de l’empereur le titre héréditaire de Sei i tai shogun (ou shogun) reconnaissant son pouvoir sur les territoires orientaux.
Cependant, le régime de Kamakura voit rapidement le pouvoir réellement exercé par le clan Hojo, grâce à Hojo Masako (1156 - 1225), la veuve de Yoritomo qui instaure un système de régence des shoguns à partir de 1199.
Économie et société
En dehors des 2 grandes exceptions que sont Kyoto, la capitale impériale (population estimée à 100.000 habitants) et Kamakura, la capitale shogunale (population estimée à 60.000 habitants), le Japon de l’époque est formé d’une population essentiellement rurale, vivant sur les domaines appartenant à de grandes congrégations religieuses ou à des seigneurs aristocratiques. Les historiens estiment qu’à la fin de la période, le Japon était peuplé d’environ 7 à 9 millions d’habitants répartis sur un territoire comprenant Kyushu, Shikoku, et Honshu, avec une plus forte densité dans le Kansai et autour de Kamakura.
L’époque de Kamakura est une période de développement économique permise par une hausse de la production agricole et l’introduction de monnaie de cuivre chinoise qui contribue à la monétisation des échanges. Ceux-ci s’intensifient entre les domaines grâce à l’apparition de marchés périodiques souvent établis auprès des temples et des voies de communication importantes, mais aussi avec le continent asiatique via le port stratégique de Hakata (Fukuoka, Kyushu). Les villes portuaires sur la mer intérieure de Seto s’épanouissent, ainsi qu’Otsu, au bord du lac Biwa.
Dans les provinces, une élite guerrière commence à prospérer autour des shugo, sortes de gouverneurs répondant en théorie au pouvoir central, généralement issus de familles locales puissantes et suffisamment riches pour acheter leur équipement et entretenir des hommes. En parallèle, la paysannerie commence aussi à s’organiser afin de pouvoir devenir une force d’opposition face aux dirigeants de domaines.
Le renouveau religieux
Le clergé bouddhiste voit sa richesse considérablement augmenter, notamment grâce à l’exploitation de ses domaines et au soutien financier de l’aristocratie et des guerriers de haut-rang, qui subventionnent leur action de protection spirituelle du pays. Le monastère de l’Enryaku-ji exerce une grande influence, et nombreux sont les religieux qui viennent s’y former.
En réaction à cette opulence, et dans un contexte de fin des temps marquant le bouddhisme japonais depuis la fin de l’époque de Heian, plusieurs mouvements tentent de s’émanciper de doctrines jugées trop excluantes :
- dans la lignée du Bouddhisme de la Terre Pure, à l’enseignement simplifié à la récitation du Nenbutsu et ouvert à tous, Shinran (1173-1262) fonde l’ "École véritable de la Terre pure" (Jodo-shinshu) qui pose la primauté de la foi en Bouddha sur le rite et les actions du croyant ;
- l’école du Lotus, fondée par Nichiren (1222-1282) en 1253, propose un enseignement centré sur le Sutra du Lotus et sur le Bouddha historique. Pour lui, l’illumination peut être atteinte en une seule vie (et non plusieurs) et même par les femmes.
Le bouddhisme Zen, qui reste un courant monastique, est introduit de Chine au Japon en plusieurs étapes entre le VIe et le XIIIe siècles. Deux branches vont s’implanter au Japon :
- l’école Rinzai, caractérisée par les énigmes koan ;
- et l’école Soto, où l’on pratique le zazen.
Tenant de la première, Eisai (1141-1215), en opposition aux courants bouddhistes japonais traditionnels, quitte Kyoto pour Kamakura en 1199, où il est accueilli favorablement en raison des liens de son enseignement avec les arts martiaux. Parmi les nombreux temples Rinzai, on compte aujourd’hui le Kennin-ji à Kyoto et le Kencho-ji à Kamakura.
La seconde est représentée par Dogen (1200-1253), contraint de s’exiler dans la province d’Echizen (actuelle Niigata) où il fonde le temple Eihei-ji en 1244. Le bouddhisme Zen va représenter un socle philosophique important pour le développement ultérieur de la cérémonie du thé et de l’art des jardins notamment.
Quant au shintoïsme, la divinité guerrière Hachiman, déjà honorée depuis le IXe siècle à l’Iwashimizu Hachiman-gu, prend une importance croissante à l’époque de Kamakura. Minamoto no Yoritomo l’a en effet placée en divinité tutélaire de son clan et a édifié un sanctuaire en son honneur dans la nouvelle capitale du Japon : le Tsurugaoka Hachiman-gu, un des lieux de culte shinto les plus importants du Kanto.
Des représentations plus réalistes en art
La culture guerrière influence la peinture et la sculpture par une plus grande recherche de réalisme et d’expressivité, qui se manifeste dans :
- l’art du portrait, apparu à l'époque de Heian, il prend de l’essor avec la vogue des "portraits ressemblants". Ceux-ci immortalisent principalement des personnalités religieuses, mais aussi des hommes d’états comme Minamoto no Yoritomo dont le portrait figure au Musée National de Tokyo.
- la peinture de style Yamato-e, avec le développement d’une peinture de paysage dont on peut identifier précisément le site. C’est aussi le début de la représentation figurative des kami en peinture.
- les rouleaux peints horizontaux emakimono, toujours très appréciés, montrent une recherche de représentation du volume et de la profondeur et commencent à construire la légende des Taira et des Minamoto, parallèlement aux conteurs itinérants.
Les moines Zen introduisent les premières œuvres monochromes suibokuga (peintures à l’encre de Chine). La peinture religieuse développe le thème du raigo, une illustration de l’apparition spectaculaire de Bouddha et de ses bodhisattvas venus accueillir les fidèles décédés pour les conduire à la Terre Pure.
Le temple Todai-ji de Nara, ravagé par la guerre de Gempei, devient un haut lieu de renouveau artistique à l’occasion de sa reconstruction à la fin du XIIe siècle. La sculpture religieuse en bénéficie, comme en témoignent notamment les statues des rois gardiens Nioo, achevées en 1203, à la pose dynamique et tendant au réalisme anatomique. Aujourd’hui encore, il est possible d’admirer plusieurs constructions datant de l’époque Kamakura :
- le beffroi Shô-rô,
- le pavillon Hokke-do (ou Sangatsu-do),
- et Nandai-mon, la grande porte sud abritant les statues des Nioo.
Un gouvernement stable
Le shogunat de Kamakura est une période de paix intérieure relative rythmée par les relations tantôt conflictuelles, tantôt consensuelles entre les shoguns et la Cour. Elle a été troublée notamment par des révoltes liées à 2 famines au cours du XIIIe siècle, et par la tentative de reprise de pouvoir de l’empereur Go-Toba en 1219.
Le pays fut par 2 fois menacé par des invasions mongoles, en 1274 et 1281, qui ont pu être repoussées par des typhons 🌀 "vents divins" (kamikaze) providentiels mais aussi grâce à une préparation matérielle sur les lieux de débarquement, dans la baie de Hakata à Kyushu.
Ces victoires ont permis de renforcer l’autorité et le prestige du gouvernement de Kamakura, mais ont aussi contribué à précipiter sa chute. En effet, la configuration des attaques n’a pas permis les prises de guerre, habituellement redistribuées aux seigneurs en dédommagement de leur participation aux hostilités, ce qui nourrit leur insatisfaction envers les dirigeants Hojo.
En outre, le mécontentement envers le Bakufu croît en raison de :
- l’insécurité provoquée par des bandes réfractaires au pouvoir central dans l’ouest,
- la tendance à l’affaiblissement des seigneurs dû à des lois successorales défavorables,
- la montée des tensions suite aux remembrements de domaines de seigneurs et de congrégations religieuses.
La fin de la période est marquée par la révolte de l’empereur Go-Daigo, un temps exilé dans l’île Oki (actuelle préfecture de Shimane) en 1331. Les Ashikaga, une branche cadette des Minamoto, se rallient à lui et mettent fin au règne des Hojo en 1333, ouvrant ainsi l’époque de Muromachi.