Ultime (?) affront avant la réouverture touristique : le Japon intercale des circuits encadrés à la nord-coréenne
Nouveau coup dur pour toutes celles et ceux qui attendaient depuis 26 mois : si elle commence bel et bien dès le mois de mai, la réouverture du Japon au tourisme va s'échelonner sur plusieurs mois avant de retrouver sa normalité prépandémique.
La bonne nouvelle c'est que, sous pression, le gouvernement japonais aborde enfin très concrètement le retour des touristes sur son territoire et dessine alors les contours de sa feuille de route.
La mauvaise, c'est qu'il le fait avec moult tergiversations et dans un rétroplanning d'une lenteur d'escargot, fidèle à sa tradition rigide et insulaire.
👼 La promesse de Kishida...
Le 5 mai, au cours d'un voyage à l'étranger, le Premier ministre japonais Fumio Kishida annonçait lors d'une conférence de presse à Londres : "Nous allons desserrer en juin les restrictions à nos frontières afin qu'elles s'alignent sur les autres pays du G7".
De nombreux médias se sont donc empressés de publier des articles copiés-collés, aux alléchants titres tels que "Le Japon se rouvre au tourisme en juin". Et les voyageurs confiants, ravis, de réserver leurs billets d'avion ✈️ et leurs hébergements pour cet été sans creuser...
Dans l'interprétation occidentale pleine d'optimisme, on comprend en effet que les touristes individuels pourront revenir au Japon comme en 2019 dès le mois prochain.
Le sens japonais est plus fourbe littéral : il signifie d'abord la suppression du test Covid à effectuer à l'atterrissage au Japon pour les pays verts/bleus (celui qui pouvait créer jusqu'à 5 à 8 heures d'attente à Narita pour cause d'engorgement), sur la base du test PCR négatif qui reste de toute façon obligatoire à produire avant de décoller, et des 3 doses de vaccins pour les pays jaunes. Puis des annonces d'ici juin pour la réouverture.
Le tout était d'ailleurs soumis à condition : celle du chiffon rouge de la potentielle remontée des cas post Golden Week. Cela n'a d'ailleurs pas manqué : même si ce ne devrait être qu'un épiphénomène, la courbe des contaminations Covid a connu un léger sursaut au retour de la semaine de vacances nationales, ce qui ne surprendra pas grand monde alors que des hordes de Japonais sont allés se dorer la pilule quelques jours à Hawaii (qui connaît depuis une augmentation de ses propres cas Covid...), entre autres destinations, sur fin avril et début mai.
Nous avions abordé plus longuement cette hypocrisie nipponne dans un article dédié récemment :
Rappelons que le Japon accepte déjà depuis le 1er mars tous les visas en-dehors des touristes :
- étudiants courte et longue durée ;
- professionnels, stagiaires, associatifs, artistes et même PVT ;
- époux/ses et familles de résidents japonais.
Beaucoup parmi ceux-là entrent d'ailleurs sous le statut surprise de "visiteur temporaire" (avec tous les avantages qu'il procurent tel que l'accès au JR Pass), les rendant donc de fait des touristes qui ne disent pas leur nom :
👹 ... face à la dure réalité de cette reprise
Moins de 2 semaines après la déclaration encourageante de Kishida, c'est la douche froide lorsque le gouvernement japonais dévoile petit à petit le véritable périmètre de cette reprise du tourisme au Japon.
Démarrant le 24 mai, il prend la forme de circuits tests dont voici les conditions :
- seulement en provenance de ces 4 pays : États-Unis / Hawaï, Australie, Singapour et Thaïlande (d'autres seront ajoutés plus tard, comme Hong-Kong) ;
- tours de maximum 10 personnes triple-vaccinées et munies d'une assurance médicale privée ;
- encadrés en permanence par le(s) guide(s) d'une agence de voyages japonaise sélectionnée ;
- suivant un parcours préétabli parmi des établissements les ayant acceptés au préalable ;
- dans seulement 12 des 47 préfectures du Japon (Ishikawa, Nagano, Fukuoka, Tochigi, Iwate, Yamagata, etc. alors que Tokyo, Osaka, Hokkaido ou encore Okinawa n'y participent pas) ;
- avec interdiction d'utiliser les transports publics (à l'exception de certains trains réservés à l'avance).
L'objectif étant de monitorer au plus près ces circuits et d'évaluer la capacité de réponse japonaise en cas de déclaration d'un cas positif, afin de livrer des recommandations aux hôteliers et voyagistes pour la future reprise plus complète.
Il est encore malheureusement inutile de contacter votre agence pour participer à ces circuits dont on a beaucoup de difficulté à ne pas les rapprocher de la version Nord-Coréenne... En effet, seule 2 agences de voyages proches du pouvoir japonais vont pouvoir les organiser et les superviser, dans une conception réglée à la minute sans aucun temps en liberté pour les voyageurs.
For the first time in more than 2 years, tourists are back in Japan, but only small tour groups are allowed under a trial program.
— Bloomberg Quicktake (@Quicktake) May 27, 2022
We tagged along with one from Hawaii. Here’s what they saw 📹: @yasutaka_tamura https://t.co/D4tbYcNPhk pic.twitter.com/2Db7UlYGL8
Entre le 24 mai et le 4 juin, il y a donc plus ou moins 50 touristes au Japon, répartis en 15 groupes qui serviront de cobayes voyageurs-test. Et il y a fort à parier qu'ils seront triés sur le volet, appartenant par exemple à des agences de voyages locales partenaires. -- Mise à jour : il est rapidement confirmé qu'il s'agit bel et bien de professionnels du tourisme exclusivement, un peu comme lorsque Kanpai est régulièrement invité en voyage de presse.
Inutile, enfin, de nous appesantir sur le choix tout à fait discutable de ces 4 pays, tant il suffit de constater le volume et la tangente de la courbe des nouveaux cas aux USA.
Cette logique est tout aussi absurde concernant la recommandation de voyage des Japonais vers l'étranger. Ainsi, depuis début mai, il y a plus de nouveaux cas quotidiens détectés au Japon qu'en Europe...
😡 Le Japon critiqué de toutes parts
Bien entendu, face à cette gifle monumentale donnée par le gouvernement japonais, de nombreuses voix grondent de plus en plus fort.
En premier lieu, il va sans dire, se trouvent tout simplement les touristes :
- ceux qui attendent depuis début 2020 et se lassent de reporter successivement leur séjour ;
- ceux qui rêvaient de Japon avant ou depuis l'ère Corona, et qui se désespèrent de voir l'archipel rouvrir un jour pour l'arpenter.
Parmi l'angle mort déplorable de cette interdiction, on pense aux pacsés, fiancés ou autres conjoints non mariés qui, non reconnus par la loi japonaise, ne peuvent rejoindre leur moitié au Japon.
Plus lourds, les dirigeants de grands pays du monde (notamment Union Européenne, États-Unis ou encore Corée du sud) commencent légitimement à râler sur l'absence de réciprocité de la dispense de visa. En effet, la Golden Week 2022 l'a bien mis en lumière mais c'est le cas depuis 2020 déjà pour l'Europe et 2021 pour les USA : les Japonais peuvent voyager librement dans nos pays mais n'acceptent toujours pas que nous allions les visiter.
Parmi les institutionnels à l'international, des poids lourds pointent également l'archipel du doigt, c'est le cas notamment de :
- IATA, l'association internationale du transport aérien ;
- et l'OMS, organisation mondiale de la santé.
Jusqu'au territoire domestique, les critiques se montrent de plus en plus nombreuses et virulentes : au-delà du Keidanren (le Medef local) qui poursuit son lobbying depuis 2020, le secteur touristique montre les crocs et c'est au sein même du Jiminto / PLD (le parti au pouvoir depuis près de soixante-dix ans presque sans discontinuer) que cela gratte désormais, dans un contexte national où le masque 😷 n'est même plus recommandé en extérieur.
🕊 Le tourisme individuel doit patienter encore un peu
La véritable réouverture au tourisme libre interviendra donc à partir du résultat de ces circuits-tests.
Connaissant la méthode japonaise, il faudra attendre qu'un reporting soit réalisé sous Excel, validé par plusieurs niveaux hiérarchiques avant d'être avalisé par les conseillers du gouvernement.
Ce que toutes et tous attendent, c'est donc une date pour le début du retour des voyageurs individuels libres. Comme nous vous l'annonçons sur Kanpai depuis début mars, il y a fort à parier pour qu'elle se situe dans le courant de l'été (qui, rappelons-le à toutes fins utiles, s'échelonne jusqu'au 21 septembre).
Certains grands médias japonais très fiables l'annoncent à partir du mois de juin :
- "Japan plans to further open its borders to foreign visitors in June at the earliest" avance l'agence de presse Kyodo ;
- "toward the full-scale reception of foreign visitors planned for June" renchérit de manière optimiste le journal Mainichi ;
- "broader easing of COVID-19 🦠 border control measures slated for June" abonde moins franchement l'économique Nikkei.
Toutefois, il s'agit en réalité d'une extension des tours organisés et guidés cités plus haut, ouverts cette fois à une centaine de pays dont ceux d'Europe (les fameux pays bleus) à partir du 10 juin avec des contraintes dantesques :
- Aucune visite en liberté n'est permise dans un circuit pré-fixé qui ne peut pas passer par Tokyo, Kyoto, Hiroshima ou encore Osaka.
- La surveillance du guide approuvé par le gouvernement est 24h/24, 7j/7.
- Une prise de température quotidienne s'accompagne de tests antigéniques réguliers.
- L'agence doit solliciter pour vous en amont un visa exceptionnel pour chaque voyageur.
- Le coût du circuit est 30 à 40% plus élevé qu'avant la pandémie.
- Comble de l'ironie : quelques jours à peine après avoir annoncé une relaxe sur la recommandation du port du masque en extérieur (par crainte des coups de chaleur), le gouvernement japonais insiste pour que ces "touristes" étrangers le portent bien ! Et jusqu'à l'Office national du tourisme japonais (dont le patron se félicite de la réouverture) participe de cette infantilisation.
Certains insiders nous parlent plutôt d'une phase démarrant plutôt en septembre (en individuel, avec quotas d'entrées quotidiennes encore augmentés) et s'échelonnant possiblement jusqu'à décembre (pour des arrivées sans aucune restriction).
L'association japonaise du tourisme a ainsi proposé au gouvernement une réouverture complète en 6 phases progressives et, il va sans dire, aucune quarantaine n'en fait partie.
Restent 2 bonnes nouvelles dans tout ce chambardement :
- New Chitose (Hokkaido) et Naha (Okinawa) rejoignent Narita, Haneda (Tokyo) et KIX (Osaka) dans la liste des aéroports qui peuvent recevoir des vols internationaux ;
- pour les nombreux pays bleus (dont la France), la vaccination n'est plus un pré-requis pour entrer au Japon !
Bref, cela reste très flou à jour et il faudra encore et toujours attendre les prochaines annonces qui ne manqueront pas de tomber rapidement.
Pour être tenu(e) informé(e) le jour-même de ces annonces de réouverture des frontières au tourisme individuel, n'oubliez pas de vous inscrire gratuitement à la newsletter Kanpai :
Kishida continue ainsi de jouer la montre, possiblement en prévision des élections parlementaires de juillet (un dimanche, le 24 au plus tard) qui restent critiques pour asseoir son autorité au sein du PLD pour les 3 années à venir.
Mais le vrai risque de ménager la chèvre et le chou, c'est de se mettre tout le monde à dos.
🎢 Les embûches nipponnes d'ici à la libération
Très réfractaire à la réouverture des frontières depuis l'arrivée du Covid, l'opinion populaire japonaise change, lentement mais sûrement, son fusil d'épaule. Le dernier grand sondage en date montrait ainsi qu'une large majorité (67%) était désormais favorable à la relaxe des mesures aux frontières.
Principale raison à cela, outre le fait que leur pays soit un des derniers encore fermés : l'économie en berne, une "chance" cynique car elle accélère le besoin en prise de décisions.
Dans un contexte de combinaison entre l'absence de croissance, l'inflation explosive (donc une stagflation) et la durable faiblesse du Yen 💴, la fermeture du Japon au tourisme lui aurait déjà coûté 22 trillions de Yens (~135,3 milliards d'euros) :
Il est déjà acquis que le quota du nombre d'entrées quotidiennes sur l'archipel passera de 10 à 20.000 le 1er juin et qu'il devrait continuer à augmenter dans les semaines et mois à venir. À dire vrai, personne n'a encore réussi à nous expliquer concrètement comment ce plafond fonctionne réellement et on se demande de plus en plus s'il ne s'agit pas simplement d'un effet d'annonce.
Pour rappel, si l'on était encore officiellement à seulement 3.500 maximum fin février, la moyenne pré-Covid était comprise entre 100 et 150.000 arrivées par jour en 2019.
Après un 3ème printemps 🌸, il est quasiment certain que le tourisme au Japon va rater également un 3ème été consécutif. En effet, même s'il ouvrait par exemple début juillet, rares sont celles et ceux qui pourraient organiser et réserver un séjour à la volée pour partir en quelques jours.
Si ce n'était pas déjà fait, certains amateurs de l'archipel risquent donc de se replier une fois de plus sur une autre destination plus ou moins "concurrente". Comme un pied de nez, son meilleur ennemi la Corée du sud annonce encore alléger son protocole d'accès aux touristes, déjà plutôt souple.
À l'heure où de plus en plus de destinations sont ouvertes sans aucune contrainte, le Japon continue à ternir son image sur la scène internationale, et à bafouer son statut de pays du G7. Il est, rappelons-le, la dernière destination encore fermée avec à ses côtés la Chine, la Corée du nord, la Syrie, le Turkménistan et le Bhoutan...
Mais le plus grand risque vu de l'extérieur, c'est encore à notre avis que le Japon entérine cette idée de plus en plus répandue selon laquelle il s'accommode bien, quelles que soient ses épreuves, du faible nombre d'étrangers sur son sol.
On ne cessera jamais d'aimer le Japon, mais il fait parfois beaucoup d'efforts involontaires pour que ce ne soit pas le cas.