La dépopulation inexorable du Japon
Vieillissement démographique de la population japonaise
Si l'augmentation continue de l'espérance de vie constitue un problème de vieillissement des populations un peu partout dans le monde, conduisant par exemple à des reculs de l'âge des retraites, le Japon connaît sans doute la problématique la plus retorse. En 2006, les statistiques démographiques japonaises ont connu une charnière inquiétante (le nombre de morts a dépassé celui des naissances) qui n'a fait que s'aggraver depuis lors. Ce croisement de ces courbes n'était pas arrivé depuis la défaite de la Seconde Guerre mondiale, et ses 3 millions de morts japonais au combat. Le constat est donc clair : depuis quelques décennies, le Japon se dépeuple et ce n'est pas forcément une bonne nouvelle.
À cela, plusieurs raisons. D'abord, des conditions sanitaires exceptionnelles qui font du Japon le recordman mondial de la longévité (cf. le régime d'Okinawa). Ensuite, une hostilité héréditaire pour l'immigration : en 2009, les Japonais ont naturalisé 3 fois moins d'étrangers que la Suisse, qui compte pourtant 17 fois moins d'habitants ! Enfin, un taux de fertilité en baisse depuis le début des années 1970 : 1,20 enfants par femme en 2023, alors que le taux de renouvellement des générations est à 2,07 (la Corée du Sud est à 0,7...). En réalité, il y a moins de naissances au Japon en ce début de XXIe siècle qu'il y en avait il y a un siècle ! À noter qu'en 1868, les Japonais n'étaient que 33,3 millions.
Sur la base des statistiques officielles, le bureau du recensement dressait des projections pour 2040, rapportées par le démographe Nicholas Eberstadt :
- la population japonaise chutera de 127 millions d'habitants (au 10ème rang mondial) à 106 millions (15ème rang) ;
- la population active (15-64 ans) chutera de 30%, de 81 à 57 millions de personnes ;
- l'âge médian sera de 55 ans (contre 45 ans aujourd'hui, ce qui est pourtant déjà le record mondial) ;
- un tiers des Japonais aura plus de 65 ans (en 2016 ils étaient déjà 27,3% avec 34,61 millions de personnes ; 28,4% en 2019, 29,1% en 2021 et 13,6% des actifs puisqu'1/4 d'entre eux travaille ; 10% ont 80 ans ou plus en 2023, 29.38% en 2024 (soit 36,25 millions de personnes) tandis que la population active représente 59.02%) ;
- il y aura 3 séniors pour chaque enfant de moins de 15 ans, et pratiquement un centenaire par nouveau-né ;
- la moitié des foyers seront composés d'une personne seule ;
- la population totale décroîtra d'1% par an (environ un million d'habitants) et la population active de 2%.
En 2070, la population japonaise devrait avoir baissé de 30% à 87 millions d'habitants.
Un des facteurs qui expliquent la chute des naissances est le basculement des mariages arrangés (お見合い omiai) vers les mariages d'amour (恋愛結婚 ren'ai kekkon) à partir de 1970. En 2005, le mariage de "bonne famille" ne représentait plus que 6% des noces. Depuis 1965, les femmes jamais mariées à l'approche de la quarantaine sont passées de 6 à 18% ; chez les hommes, cela a grimpé de 4 à 30% ! Parallèlement, le taux de divorce serait passé de moins de 10 à 30%. Sachant qu'au Japon, la conception d'un bébé est encore relativement mal perçue hors mariage, près d'un quart des femmes nées en 1965 n'ont jamais eu d'enfant. Ce taux monterait à 38% pour les femmes nées en 1990, avec plus de 50% de chances de ne jamais avoir de petits-enfants biologiques. Si le taux d'enfant par femme mariée est dans la moyenne mondiale, c'est plutôt le taux hors mariage qui pose problème.
Au Japon, faire des enfants coûte cher en particulier au cours de la grossesse et sur leurs premières années, ce qui n'aide pas au renouvellement espéré.
Statistiques démographiques japonaises
👨👩👧👦 Nombre d'habitants au Japon
Au 1er janvier 2020, il y avait 124.271.318 Japonais, en baisse de 505.046 (0,4%) sur un an. C'était la première fois que la chute était de plus d'un demi-million, quasiment l'équivalent de la population d'une préfecture comme Tottori (556.195).
Au 1er janvier 2023, en incluant les résidents étrangers, la population japonaise était de 125,42 millions d'habitants (en baisse de 800.523 sur un an, la plus grosse chute depuis la mise en place des statistiques et la 15ème année consécutive de baisse démographique).
Cette année-là, l'ensemble des 47 préfectures du Japon (sauf Okinawa) connaissaient une baisse. C'était même la première fois en 26 ans pour Tokyo.
Au 1er octobre 2023, la population au Japon chute à 124.352.000 habitants, en baisse de 595.000 par rapport à l'année précédente et en incluant les résidents étrangers présents sur le sol depuis plus de 90 jours consécutifs. La population de Japonais natifs est estimée à 121.193.000.
Au 1er janvier 2024, la population japonaise s'élève à 124.885.175 habitants, en comptant les résidents étrangers, soit une baisse annuelle de 532.000 personnes. Le nombre de résidents étrangers au Japon est en hausse et dépasse le palier des 3 millions recensés sur le territoire. La grande majorité viennent pour les études puis pour y travailler. Kumamoto, Tokyo, Chiba et Okinawa sont les préfectures qui ont accueilli le plus d'immigrés en 2024.
En 2100, les Japonais ne devraient plus être que 47,7 millions (les projections vont de 64,1 millions pour les plus optimistes à 37,7 pour les plus pessimistes).
👶 Natalité en berne
Selon l'AFP, il y a eu pile un million de naissances au Japon en 2014, son niveau le plus bas jamais enregistré à l'époque, en baisse alors depuis quatre années consécutives. Cette même année, 1,269 million de personnes décédaient, en hausse depuis cinq ans d'affilée. Il se vend désormais plus de couches pour adultes au Japon, que celles pour bébé !
En 2017, il y a eu 946.060 naissances (le plus petit nombre jamais enregistré) contre 1,3 million de décès, pour une population finale de 125,2 millions. Cela fait ainsi 9 années d'affilée que la population japonaise décroît.
2018 voit le nombre de naissances retomber à son plus bas niveau depuis 120 ans, à 918.397 (en baisse de près de 30% depuis 1989) contre 1,37 million de décès, créant le douzième déclin annuel consécutif, avec 1,42 enfant par femme.
Et la baisse continue en 2019 avec 898.600 naissances, le taux le plus bas depuis 1899, soit à peine 129.000 de plus qu'en France qui compte 2 fois moins d'habitants.
En 2020, les 65 ans et plus étaient, eux, 28,7% avec 36,17 millions personnes (300.000 de plus en un an). Les écoliers et collégiens étaient 1 million de moins en 10 ans, à 9,56 millions désormais. 450 écoles ferment en moyenne chaque année.
27% des femmes n'avaient pas d'enfants à 50 ans, un record mondial (la France étant à 10%).
Sans surprise, 2021 continuait la baisse des naissances à 811.604 nouveaux bébés (le chiffre le plus bas depuis le début des statistiques en 1899), soit une perte de 609.392 habitants sur l'année.
En 2022, il y avait 770.000 naissances seulement, et 14,65 millions d'enfants japonais de 14 ans ou moins, 250.000 de moins que l'année précédente, en baisse pour la 41ème année consécutive et le plus bas chiffre depuis 1950. À 11,7% de la population, il s'agit du pourcentage le plus faible parmi les 35 pays de plus de 40 millions d'habitants.
En janvier 2024, le pays constate les effets de la dénatalité au niveau du nombre de jeunes qui atteignent la majorité : ils ne sont que 1,06 millions d'adultes de 18 ans à l'occasion de Seijin no Hi, soit seulement 0,86% de la population totale. Ce chiffre prend par ailleurs en compte les étrangers qui résident sur l'archipel depuis au moins 3 mois.
De janvier à juin 2024, le pays n'a enregistré que 350.074 naissances (en incluant les citoyens japonais expatriés), ce qui est son record le plus bas jamais atteint. Il s'agit d'une chute de 5,7% par rapport au 1er semestre 2023.
Le taux de natalité au Japon continue de franchir chaque année des records de baisse avec seulement :
- en 2023, 758.631 naissances contre 1.590.503 décès enregistrés (données préliminaires) ;
- en 2024, 730.000 naissances contre 1.580.000 décès enregistrés.
👵🏻 Espérance de vie en hausse
Selon le ministère de la santé nippon, les centenaires augmentent à vitesse grand V au Japon :
- il y en avait 153 au début des statistiques en 1963 ;
- plus de 1.000 en 1981 ;
- plus de 10.000 en 1998 ;
- 59.000 en septembre 2014 dont 87% de femmes ;
- près de 70.000 en 2018 dont plus de 88% de femmes ;
- 71.000 en 2019 ;
- 80.450 en 2020 dont 88,2% de femmes ;
- 86.500 en 2021 dont 88,4% de femmes ;
- 90.526 en 2022 dont 89% de femmes.
L'espérance de vie des Japonais prend naturellement le même chemin :
- 86,61 ans pour les femmes et 80,21 ans pour les hommes en 2014, le record mondial ;
- 87,14 ans pour les femmes et 80,98 ans pour les hommes en 2017, juste derrière Hong-Kong ;
- 87,45 ans pour les femmes et 81,41 ans pour les hommes en 2019 ;
- 87,74 ans pour les femmes et 81,64 ans pour les hommes en 2021 ;
- 87,09 ans pour les femmes et 81,05 ans pour les hommes en 2022, en baisse à cause du Covid ;
- 87,14 ans pour les femmes et 81,09 ans pour les hommes en 2023.
Au 1er avril 2018, il n'y avait plus que 15,53 millions d'enfants de moins de 15 ans au Japon, une proportion en baisse depuis 44 ans.
En septembre 2022, 15% des Japonais avaient plus de 75 ans.
En 2024, les plus de 80 ans représentent 12,9 millions de personnes, soit 10,4% de la population. Le nombre de centenaires dépasse les 95.000 (dont 88,3% sont des femmes), soit une nouvelle hausse pour la 54e année consécutive.
Des conséquences inquiétantes pour les Japonais...
Malgré l'excellente réputation de la santé des personnes âgées japonaises (en témoignage leur excellente réponse au Coronavirus 🦠 en 2020), la maladie d'Alzheimer pourrait toucher 5% de la population d'ici 2050. Au-delà de la pression sur les allocations retraite, certains démographes soulèvent également un risque du comportement d'enfant-roi proche des conséquences de la politique de l'enfant unique en Chine. Pour cela, ils s'appuient sur le concept sociologique de NEET, acronyme de "not in education, employment, or training" c'est à dire ni étudiants, ni salariés, ni stagiaires. Ces NEET et leur dérive hikikomori représenteraient déjà près d'un million de Japonais selon les estimations.
Sur le plan économique, le Japon fait évidemment face à des difficultés pour maintenir sa croissance, après deux décennies faibles et le spectre du récent tsunami dévastateur. De plus, la décroissance de la population pourrait diminuer l'influence japonaise à l'international. Nous parlions déjà il y a quelques semaines du marasme de son soft-power ; il se pourrait que ce ne soit en réalité qu'un début.
L'exode rural, quant à lui, ne semble pas en voie de diminution et malgré l'affaissement du nombre de Japonais, les plus grandes villes de l'archipel (en particulier Tokyo et Osaka) devraient continuer à grossir, en particulier pour leur apport d'emplois, et donc à faire grimper les prix de leur immobilier. Parallèlement, la quantité de logements vacants et de maisons abandonnées, déjà en forte croissance depuis la fin des années 1990, va continuer à grandir.
-- Note de février 2016 -- Pour la première fois en 68 ans, la population d'Osaka a baissé : entre 2010 et 2015, elle a reculé de 0,3% à 8,84 millions d'habitants.
-- Note d'avril 2018 -- D'ici à 2045, la population devrait baisser partout au Japon sauf à Tokyo où elle devrait augmenter de 0,7%.
Payer les habitants pour endiguer l'exode rural
En avril 2018, la municipalité d'Okutama, la plus grande de la région de Tokyo, située à environ 70 kilomètres au nord-ouest de la capitale, a annoncé qu'elle "donnait" des maisons neuves de 50 mètres carrés, sous conditions :
- familles de 43 ans au maximum avec enfants au collège maximum
- loyer mensuel de 50.000¥ (~306,30€) ou 40.000¥ (~245,00€) pour les familles avec 2 enfants (et même 35.000¥ (~214,40€) avec 3 enfants)
- rester vivre dans la maison pendant 22 ans
Au terme du contrat, les habitants deviendront propriétaires gratuitement de la maison !
Dans le même ordre d'idée, la municipalité de Tokyo annonce en novembre 2018 qu'elle réfléchit à un projet de donner 3 millions de Yens (~18.378€) à tous les habitants qui quittent les 23 arrondissements centraux pour s'installer à l'extérieur de la capitale. Une telle mesure pourrait être mise en place dès 2019.
Sado, une ville de la préfecture de Niigata, offre elle des aides à partir de la naissance du 3ème enfant. Au total, elles peuvent atteindre 2 millions de Yens (~12.252€).
... Mais des points positifs malgré tout
Conséquence logique de ce dernier point : les petites villes et zones rurales vont progressivement devenir encore plus clairsemées. À l'échelle nationale, le Japon va pouvoir gérer naturellement sa transition énergétique et environnementale. Déjà à la pointe sur ces sujets, l'archipel nippon pourrait devenir un leader reconnu mondialement dans la réduction des gaz à effet de serre.
Même si les politiques de natalité (très timides) menées jusqu'à présent au Japon n'ont pas porté leurs fruits, les différentes campagnes même plus agressives, menées un peu partout dans le monde, ne connaissent pas de résultats exceptionnels. Le gouvernement japonais n'aurait alors d'autre choix que d'assouplir ses politiques d'immigration et d'obtention de visas pour accueillir plus d'étrangers sur ses îles. Pour beaucoup de gaijin qui souhaitent partir vivre au Japon, c'est une opportunité attendue ! Après dix années de baisse de la population au Japon, les étrangers représentent depuis 2018 un peu plus de 2% de sa population (ils étaient près de 3 millions au 1er janvier 2023) ; dans le reste des pays du G7, ce taux oscille de 11% (en Italie) à 21% (au Canada), la France étant à 13%.
D'autres analystes prévoient que cette période de dérèglement générationnel sera difficile pendant une à deux générations, avant de retrouver un point d'équilibre pour une population autour de 70 à 90 millions de Japonais.