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Pink Diary

Manga de Jenny

⏱ 4 minutes

Le 19 avril est arrivé dans les librairies francophones le premier volume d’une nouvelle série de manga. Format, présentation, odeur, tout est identique aux autres. Il a même ce petit texte caractéristique que l’on trouve en seconde de couverture de tous les manga qui se respectent. Ou pas. Car contrairement aux autres, Pink Diary n’est pas dessiné par un auteur japonais mais par Jenny, une petite nénette de 27 ans, française d’origine malgache. Vendu par Delcourt, aux côtés notamment de Beck et Fruits Basket, le travail de Jenny a été présenté dès janvier comme un « shojo manga », alors même que l’on ne connaissait pas le moindre début de synopsis. C’est dire si le bouquin fait clairement partie d’une campagne de publicité bien orchestrée. Et bien que Pink Diary ne souffre pas de localisation, de traduction ni d’acquisition de licence, Delcourt le vend 7,5€. Tant qu’à faire. Alors, comme son prix, le manga est-il une belle arnaque ?

Dans Pink Diary, donc, les maisons sont des copies quasi conformes de celles vues dans F Compo. Les chambres ont des tables basses et des velux. L’héroïne, Kiyoko, porte un uniforme à courte jupette et des loose socks. Les personnages mangent des bento 🍱 et du gohan, de plus ils ont toutes les expressions et mimiques d’usage : goutte de sueur qui tombe sur la joue (gène), larmes qui coulent à flot (tristesse), personnage qui tombe physiquement (surprise), etc. Et tout cela, accrochez-vous, bien que l’auteure n’a jamais mis les pieds sur le plancher des vaches nippones. Car derrière la couche de vernis japonisant, les indices affluent, à commencer par le calendrier qui indique 三月2002 (sic, les japonisants comprendront). Tout ce petit monde n’a de japonais que les apparences et, malheureusement pour la promotion, cela ne fait pas illusion bien longtemps.

Jenny, dont c’est la première publication papier hors fanzines, ne s’est jamais rendue au Japon et ne maîtrise clairement pas la langue japonaise. Elle a suivi deux ans de formation en cinéma d’animation aux Gobelins, avant de travailler notamment sur Totally Spies. Tout juste, le dessin animé français fortement inspiré de Charlie’s Angels, dont tout le monde croit qu’il est américain vu que ses héroïnes s’appellent Alex, Sam et Clover et qu’elles vont dans un lycée de Beverly Hills. D’ailleurs les yeux des protagonistes de Pink Diary rappellent parfois ceux des trois espionnes franco-américaines. Autour de cette Jenny, ça commence à faire beaucoup de pompage… Son manga a un air méchamment bâtard puisque, malgré tous ces codes et rappels du manga japonais (qui, je le rappelle, ne représente pas franchement le véritable Japon), rien ne va réellement au fond des choses.

Par exemple, le bouquin se lit dans le sens de lecture occidental et non japonais. Je lis dans Epok, l’hebdomadaire de la Fnac, qu’elle « n’y arrivait pas, c’était trop dur pour les dialogues ». Sauf que ses personnages disent quand même « merci pour ce bon repas ! », une bulle traditionnellement bancale pour les traducteurs, qui ont du mal à passer outre ce que représente « Gochisôsama deshita ! ». Avec des codes aussi directement pompés sur le véritable manga, sans intérêt réel, j’ai parfois eu du mal à lire ce Pink Diary dans le sens occidental, justement. Tout est stéréotypé à outrance, pour un résultat qui a le cul entre deux chaises. Du coup, le bouquin a ce manque flagrant de personnalité, comme en témoigne encore le texte en filigrane sur la couverture, qui est en… anglais. Va comprendre.

Bien entendu, on nous ressort toujours les bonnes excuses marketing, en prévision de textes comme le mien. Dans le genre, on a donc eu : « le premier tome propose des planches datant d’il y a près de trois ans ; les tomes 2 et surtout le 3 seront beaucoup plus aboutis graphiquement ». Mais rien à faire, je n’accroche pas une minute au concept. Alors oui, ça sent le puriste aigri qui pisse dans un violon, mais si Patrice LECOMTE faisait un film de samurai en costumes, avec Gérard DEPARDIEU et Audrey TAUTOU dans les rôles principaux, ça rirait fort… Mais la grande question serait plutôt : pourquoi Dupuis ne vendrait pas les prochaines aventures de Spirou, situées à Tokyo, comme un shônen ? Sans rentrer dans un débat linguistique obtus, c’est l’hypocrisie de Pink Diary qui me gène réellement. Le bouquin a un paquet de qualités, notamment techniques et de mise en scène (même si cette dernière est si fortement inspirée de l’écriture japonaise qu’on se demande ce que l’auteure vaut réellement). Le problème est que tout est avalé par le buzz « shôjo manga ». Alors Jenny, lâche-nous ta campagne de communication idiote et sors-nous ta vraie BD. Pas un pompage idiot et castrateur.

Mis à jour le 09 septembre 2015 -