Verticalité et liberté individuelle au Japon

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En observant avec toujours plus de curiosité le fonctionnement sociétal japonais, j'en suis arrivé naturellement à me demander dans quelle mesure l'omnipotente structure verticale de hiérarchisation sociale empiétait sur la notion de liberté individuelle. Cette problématique est d'autant plus intéressante que nous nous plaçons nativement du point de vue français, où l'égalité entre les Hommes est une notion fondamentale quitte parfois à bloquer certaines avancées.

Dans un système nippon fondé sur la verticalité des relations, l'ordre naturel implique que la notion de groupe semble plus naturellement s'orienter dans un sens hiérarchique que vers le rapprochement entre les classes sociales. Ainsi en France on parlera de solidarité par exemple entre ouvriers de différentes usines, ou encore par classe sociale sans s'en affranchir (vers le haut ou le bas), alors que le prisme japonais accueillera avec beaucoup plus de sérénité l'appartenance prioritaire à une entreprise quelque soit le niveau socio-professionnel.

En filigrane il convient d'ailleurs de rappeler que, contrairement à une idée reçue, les écarts salariaux (ceux-là même qui impactent sur le sentiment d'inégalité) sont moins profonds sur l'archipel entre les deux extrêmes représentées par les patrons et leurs employés. Selon les chiffres de l'OCDE pour l'année 2012, rapportés par AFL-CIO, le ratio de rémunération moyenne entre les salariés et leurs grands chefs atteignait 104 en France, alors qu'il n'était "que" de 67 au Japon qui compose pourtant avec un salaire moyen légèrement plus bas.

Subordination fonctionnelle et rouage social

C'est probablement de moins en moins vrai depuis que le Japon jongle avec la mondialisation des comportements et les crises successives mais dans cette société, en 2013, plus de 94% des nouveaux actifs étaient pourvus d'un emploi quelques jours à peine après avoir été diplômés, alors que le taux de chômage atteint des records... de bassesse : 3,6% au dernier décompte en date. L'entreprise joue alors encore indéniablement le rôle de seconde (voire parfois de première) famille avec laquelle on passe beaucoup de temps chaque semaine, quitte à faire du présentiel et non assurer la productivité, quitte à participer aux nomikai peut-être parfois moins par envie que par obligation sociale.

Cela ne doit pas masquer non plus le fait que, si l'on ne suit pas le fonctionnement habituel et établi, se retrouver sur le bord de la route implique beaucoup de difficultés pour remonter dans le train 🚅. Pour autant, il est intéressant de soulever que le maillage hiérarchique japonais très fort paraît infiniment moins subi et coercitif qu'ailleurs. L'autorité n'est pas nécessairement perçue comme une contrainte, tant qu'elle participe des rouages de fonctionnement global et peu importe si les notions de choix, de prise d'initiatives ou le sentiment de liberté s'en trouvent par-là même étouffés ou contraints.

Sans porter de jugement de valeur sur la supériorité supposée de tel ou tel modèle, il me semble que mettre l' (illusion d'une) horizontalité et en particulier l'individu au cœur de toute réflexion tend à nier que l'ordre social peut passer par des degrés de subordination fonctionnelle sans que la subir soit ressenti comme pression ou aliénation, ou encore comme une entrave à la liberté de chacun qui nécessiterait alors une rébellion.

Pour aller plus loin sur le sujet, au-delà du passionnant pavé Les Japonais de Karyn Poupée, nous vous suggérons le livre très intéressant de Jean-Luc Azra : Les Japonais sont-ils différents ?

Mis à jour le 21 octobre 2015 -